Vol 84 – N° 4 – novembre 2019
Image du corps et souffrances narcissiques identitaires chez l’enfant : approche psychopathologique
Body image and narcissistic identity suffering in childhood: A psychopathological approach
Page :527-538
Jérôme Boutinaud
Résumé
Objectifs
Les désordres psychopathologiques sévères de l’enfance (incluant les différentes formes d’autismes, de psychoses et de pathologies limites) présentent un point commun fondamental : la présence de troubles de l’image du corps et d’un ensemble d’affections touchant le développement des représentations corporelles. Cette étude vise la description clinique de ces phénomènes en s’essayant à en analyser le fonctionnement par le biais d’une approche psychodynamique.
Méthodes
Cette étude est basée sur une revue de littérature et sur plusieurs observations cliniques (issues d’une pratique en service de pédopsychiatrie et en CMPP).
Résultats
L’étude met en évidence des singularités et des points communs entre les différents types de pathologies concernées. Elle spécifie pour chacune la nature des processus psychiques, des angoisses archaïques et des différents éprouvés impliqués, même si la présence de troubles de l’image du corps reste commune à ces différentes situations.
Discussion
L’approche psychodynamique permet d’envisager les possibles sens revêtus par les contenus, les défenses et plus largement les processus impliqués dans ces manifestations cliniques. Elle permet de porter un autre regard sur les logiques conscientes et inconscientes présentes dans ces dernières.
Conclusion
Prendre en compte ces éléments permet d’enrichir la lecture psychopathologique de ces troubles mais aussi de penser autrement l’organisation de leur prise en charge psychothérapique, notamment par le biais des approches à médiation corporelle.
Mots clés : Image du corps, Souffrance narcissique identitaire, Psychose, Autisme, Pathologie limite, Angoisses archaïques, Processus de symbolisation, Enfant
Souviens-toi. Processus de deuil, processus de création
Remembering. Mourning processes, creative processes
Page :539-548
Anna Cognet, Céline Masson
Résumé
Objectif
Les auteurs cherchent à mettre en lumière certains des mécanismes psychiques qui soutiennent une mise en sens de la mort, au travers, en particulier, d’objets à haute valeur symbolique comme liens entre les morts et les (sur)vivants.
Méthodes
Dans cet article clinique, de méthodologie heuristique, nous associerons l’analyse d’une situation clinique de mort anténatale, paradigmatique des deuils à risque pathologique, et celle de la création artistique du plasticien Michel Nedjar, en lien avec le génocide juif.
Résultats
Le traitement psychique de la perte d’un être aimé est l’occasion d’un risque psychopathologique important. Si les rites funéraires (religieux ou laïques), le soutien des proches et de la communauté permettent, dans bien des cas, d’offrir aux endeuillés un cadre propice à l’accomplissement de processus de deuil suffisants pour continuer à vivre avec la perte (et non pas à vivre sans le disparu), certaines situations particulièrement traumatiques interdisent l’accès à un deuil non pathologique.
Discussion
Les auteurs seront amenés à réinterroger l’exclusivité du modèle freudien de Deuil et Mélancolie et à s’appuyer sur le modèle théorique winnicottien des phénomènes transitionnels pour éclairer les processus psychiques à l’œuvre.
Conclusion
La créativité à l’œuvre dans ces deux situations maintient une certaine distinction : sublimation du côté de l’artiste, résurgence des phénomènes transitionnels du côté de l’individu endeuillé.
Mots clés : Deuil, Création, Objet, Périnatalité, Objet transitionnel, Art
Suivi qualitatif de l’évolution de 120 enfants porteurs de troubles du spectre autistique pris en charge par la méthode des 3i
Qualitative follow-up of the evolution of 120 children with autism spectrum disorders undergoing therapy with the 3i method
Page :549-566
Claire Favrot-Meunier, Yann Saint-Georges Chaumet, Catherine Saint-Georges
Résumé
Objectifs
L’objectif de cette étude rétrospective est de décrire l’évolution des compétences en communication et relation d’un groupe d’enfants porteurs de trouble du spectre autistique et traités par la méthode des 3i pendant 2 ans.
Méthode
Cent-vingt dossiers d’enfants ayant poursuivi cette méthode pendant 24 mois ont été inclus dans cette étude. Un score de 1 à 3 dans une échelle d’acquisition de compétences (1 : non acquise, 2 : partiellement acquise, 3 : acquise) a été attribué à chaque sujet pour chacun des six indicateurs choisis (Imitation, Qualité du regard, Régulation sociale et émotionnelle, Expression verbale, Expression non verbale et Compréhension verbale). Les scores initiaux sont comparés aux scores finaux après 24 mois de méthode 3i.
Résultats
L’analyse statistique montre que pour chaque indicateur le groupe de patients a significativement progressé au cours des 24 mois de méthode 3i. En moyenne, les sujets acquièrent un stade supérieur dans 4 domaines de compétences sur 6. La progression est plus grande dans les domaines de l’imitation et de la communication non verbale.
Discussion
Malgré les limites liées au caractère rétrospectif de l’étude et à une grille d’évaluation non standardisée, les résultats sont cohérents avec une précédente étude prospective sur 20 sujets avec des outils internationaux. Ce résultat suggère que les handicaps liés aux troubles du spectre autistique diminuent au cours de la prise en charge 3i.
Conclusion
Celle-ci pourrait permettre de réduire l’intensité du syndrome autistique et d’améliorer les capacités d’interaction avec l’environnement.
Mots clés : Trouble du spectre autistique, Méthode 3i, Thérapie par le jeu, Communication, Relation, Évaluation
Du « Délire à deux » : une lecture de Macbeth
“Délire à deux”: A reading of Macbeth
Page :567-580
Nicolas Brémaud
Résumé
Objectif
L’objectif de notre étude est d’apporter une lecture originale sur Macbeth, sur les circonstances qui déclenchèrent la folie meurtrière de Macbeth (parricide et crimes en cascade), mais aussi et surtout sur le caractère très singulier du couple Macbeth, qui à notre sens peut être saisi sous l’angle d’un « délire à deux ».
Méthode
La revue sélective de la littérature permet d’appréhender au fil du temps la dimension « pathologique » de Macbeth et le rôle fondamental, central, que joue Lady Macbeth dans la tragédie. Suite à cette revue de la littérature, nous envisageons le déroulement logique des événements, une approche historique de ce que l’on nomme « folie », ou « délire à deux » (Ch. Lasègue, J. Falret), et les éléments qui permettent d’avancer cette hypothèse du délire à deux pour le couple Macbeth. Les références de la psychiatrie classique, mais aussi les références à S. Freud, à J. Lacan, et à d’autres auteurs et/ou critiques, nous permettent de l’envisager de la sorte.
Résultat
La lecture que nous faisons de Macbeth permet de rendre compte des éléments déclencheurs de la folie de Macbeth, éléments nécessaires à la décompensation du héros éponyme, mais non suffisants. Le rôle que joue ici son épouse, Lady Macbeth, apparaît alors comme déterminant, car c’est elle qui le « pousse-au-crime ». Le couple Macbeth n’est pas un couple commun, ni même un couple simplement complice dans le crime, comme les faits-divers en témoignent parfois. La seule ambition, la seule quête du pouvoir, ne peuvent expliquer Macbeth. Les deux protagonistes de ce couple criminel ne vont pas l’un sans l’autre. Il semble bien que l’on ne peut les séparer, qu’on ne peut penser l’un sans l’autre, que les deux font Un, ce qui permettrait d’écrire ce couple comme Un-possible. L’hypothèse du « délire à deux » nous semble ainsi éclairer – en partie seulement, sans doute – le fonctionnement de ce couple tout comme que le déroulé logique de la tragédie.
Discussion
L’article permet de revenir sur la notion de « délire à deux », avec la distinction éventuelle d’avec le délire dit « simultané » (E. Régis). La discussion porte également sur ce qui a pu faire « tenir » Macbeth jusqu’à la rencontre fatidique avec les trois sœurs Sorcières. On s’intéressera alors à cette identification-compensation imaginaire du guerrier vaillant, courageux, héroïque au champ de bataille, à tout ce qui peut donner une valeur phallique chez un Macbeth stérile, dont l’épouse n’a de cesse de lui répéter qu’il n’est pas un homme.
Conclusion
Bien que la plus courte des tragédies de Shakespeare, bien que simple – en apparence – dans le déroulé des événements ou dans sa thématique, Macbeth est une pièce fort complexe. L’hypothèse du « délire à deux » nous semble apporter quelques éclairages sur cette tragédie noire, sanglante, dont le brouillard envahit aussi bien la scène que l’âme de ses héros.
Mots clés : Macbeth, Psychose, Délire à deux, Psychanalyse
De l’aliénation au double
From alienation to transitivism
Page :581-589
Marie Selin
Résumé
Objectifs
Repérer la place et l’importance de la notion de transitivisme pour dégager des traits structuraux qui permettent le diagnostic différentiel Autisme/Psychose.
Méthode
Partir de deux études paradigmatiques de cas, l’un issu d’un fait divers, présent dans la littérature psychanalytique l’autre d’une cure d’enfant autiste à valeur heuristique pour une induction générale.
Résultats
Le transitivisme se trouve en excès dans les psychoses infantiles et en défaut dans les autismes.
Discussion
En partant du concept d’aliénation dans l’enseignement de Jacques Lacan, l’article pose en premier lieu que le transitivisme, notion reprise de Henri Wallon, est la première forme de relation au semblable avant de s’attacher à démontrer à l’aide de deux études de cas paradigmatiques que le destin du transitivisme est différent dans l’autisme et la psychose.
Conclusions
La notion de transitivisme s’avère déterminante pour établir des différences structurales entre autisme et psychose et l’apparition du transitivisme correspond à un moment de nouage du transfert dans les cures psychanalytiques d’enfants autistes.
Mots clés : Aliénation, Autisme, Double, Transitivisme, Psychose, Diagnostic structural différentiel
Absence des organes génitaux internes chez la femme : enjeux et répercussions sur l’identité sexuelle
The absence of internal female organs among women: Issues and consequences for sexual identity
Page :591-603
Stéphanie Blanc, Anne Brun
Résumé
Objectifs
Cet article traite d’une approche psychodynamique du syndrome de MRKH (Mayer-Rokitansky-Küster-Hauser), soit une absence d’utérus et de vagin, malformation congénitale rare qui touche les organes génitaux féminins internes et qui concerne une naissance de fille sur 4500. Il propose de dégager, dans une perspective à la fois qualitative et quantitative, certains des enjeux soulevés par cette pathologie et la nature de sa prise en charge, notamment la recréation d’un néo-vagin en termes d’aménagement de l’identité sexuelle chez les femmes concernées.
Méthodes
La méthodologie s’appuie sur la spécificité d’un dispositif interdisciplinaire et triangulaire incluant la patiente, le médecin et la psychologue clinicienne lors de consultations médicales spécialisées. Le recueil des données s’effectue également à partir d’entretiens de recherche cliniques individuels entre la jeune femme et la psychologue clinicienne. Sur le plan quantitatif, cette étude concerne une population de dix-sept patientes.
Résultats
Cette recherche permet de repérer et d’identifier certaines représentations et perceptions propres aux patientes MRKH qui se déploient tant sur le plan fantasmatique que corporel. Ces occurrences, synthétisées sous forme de tableau, se révèlent tantôt récurrentes chez une majeure partie de la population concernée, tantôt spécifiques chez certaines jeunes filles, en lien avec la perception du corps et l’investissement de la sexualité.
Discussion
Cet article correspond à une recherche à l’appui d’entretiens uniques, excepté pour deux cas (une dizaine d’entretiens chacun). Actuellement elle se poursuit par la mise en place de suivis au long cours.
Conclusion
Dans la majeure partie des cas apparaît une problématique fétichique liée à la dimension phallique du néo-vagin et un fort investissement de l’apparence corporelle et/ou des signes extérieurs de féminité.
Mots clés : Syndrome de Mayer-Rokitansky-Küster-Hauser (MRKH), Fétichisme, Handicap, Identité sexuelle, Néo-vagin, Sexualité, Regard, Relation d’objet, Recherche qualitative, Entretien
Anorexie mentale et trouble du comportement alimentaire selon une perspective phénoménologique : version francophone du questionnaire IDentity and EAting disorders (IDEA)
Anorexia nervosa and eating disorders from a phenomenological perspective: A French version of the IDentity and EAting disorders (IDEA) questionnaire
Page :605-616
Jérôme Englebert, Eugénie Minguet, Adam Helinski, Françoise Dominé, Sandra Gebhard, Catherine Zdrojewski, Giovanni Castellini, Valdo Ricca, Milena Mancini, Friedrich Stiefel, Giovanni Stanghellini, Adélaïde Blavier
Résumé
Objectifs
Cet article présente la version francophone du questionnaire d’inspiration phénoménologique Identity and Eating Disorders (IDEA) (Stanghellini et al., 2012). La littérature d’inspiration phénoménologique met en évidence que les personnes souffrant d’anorexie mentale présentent des perturbations au niveau de l’incarnation et de l’intersubjectivité. Cette recherche évalue les expériences corporelles subjectives de participantes anorexiques grâce au concept du corps-pour-autrui proposé par J.-P. Sartre (1943).
Hypothèse
Les patientes anorexiques se définissent davantage à travers le regard des autres et tendent à moins ressentir leur corps de manière sensorielle.
Méthode
Soixante-sept patientes anorexiques et 246 participantes contrôles ont répondu à la version francophone, traduite par nos soins, du questionnaire IDentity and EAting disorders. Des tests non paramétriques de Mann-Whitney pour échantillons indépendants ont été effectués.
Conclusion
Les résultats statistiques confirment l’hypothèse de recherche : les patientes anorexiques obtiennent des scores au questionnaire significativement supérieurs à ceux des participantes contrôles. Ces résultats confirment des difficultés au niveau de l’incarnation et de l’intersubjectivité chez les sujets anorexiques et annoncent des perspectives de recherche importantes.
Mots-clés : Anorexie mentale, Phénoménologie, Corps-pour-autrui, Incarnation, Identité, Questionnaire, Identity and Eating Disorders (IDEA)
La psychologie discursive et les discours lacaniens
Discursive psychology and lacanian discourse
Page :617-630
Jean-Louis Feys
Résumé
Objectifs
Présenter les principes de base de la psychologie discursive, rappeler l’intérêt et les intentions de Lacan lorsqu’il construit les mathèmes des discours, comparer l’épistémologie du modèle discursif et des mathèmes des discours pour identifier les similitudes et souligner les différences.
Méthodes
À partir d’articles et d’ouvrages récents, l’article présente le modèle discursif et explique en quoi il s’oppose au modèle cognitif. Ensuite, l’article rappelle la matrice des discours chez Lacan et la distinction entre les quatre discours. Ce rappel résume les implications épistémologiques de ces mathèmes sur la question du lien social, sur celle du sujet, de la vérité et sur la psychopathologie.
Résultats
L’article montre les points de rencontre entre le modèle discursif et les discours lacaniens : le refus du modèle cognitif, la conception de la pensée comme discours, le refus de la conception psychologique du sujet et la conviction que la vérité est intrinsèque au discours. Mais l’article présente aussi les éléments radicalement différents : la psychologie discursive est un modèle qui, jusqu’à présent, ne prend pas en considération les pathologies des discours tandis que les mathèmes des discours constituent une construction de Lacan à partir de son expérience de psychanalyste.
Discussion
La psychologie discursive se présente comme une alternative au modèle cognitif qui domine la psychologie et le milieu de la santé mentale depuis plusieurs décennies. De nombreux éléments de ce modèle discursif rappellent les théories psychanalytiques. Il est donc tentant d’assimiler l’un à l’autre. Si le commun dénominateur est la conception de la pensée comme discours, Lacan et la psychanalyse s’intéressent aux différents discours que l’on rencontre dans la clinique psychanalytique et tentent de définir ce que pourrait être l’acte psychanalytique qui permettrait un changement de discours. L’usage clinique du modèle discursif reste quant à lui à définir.
Conclusion
Le modèle cognitif a montré ses limites et de nouveaux modèles psychologiques vont sans doute se développer dans les années à venir. Parmi eux, le modèle discursif commence à prendre de plus en plus d’importance en sciences humaines. Ce modèle présente des similitudes avec les théories et concepts psychanalytiques de manière générale et plus spécifiquement avec les mathèmes des discours tels que Lacan les a construits à partir des années 1970. La conception de la pensée, du langage, la question du sujet, de la vérité sont certainement des points de rencontre entre le modèle cognitif et les mathèmes des discours de Lacan. Mais il existe aussi d’importantes différences et divergences.
Mots clés : Psychologie discursive, Psychologie cognitive, Psychothérapie, Psychanalyse, Mathème, Lacan J
Anorexie mentale, Phénoménologie, Corps-pour-autrui, Incarnation, Identité, Questionnaire, Identity and Eating Disorders (IDEA)
De la séméiologie psychiatrique à la psycholinguistique : définition d’un nouveau modèle de la clinique post-traumatique
From psychiatric semeiology to psycholinguistics: Definition of a new model of post-traumatic clinical presentation
Page :631-643
Yann Auxéméry
Résumé
Objectifs
Témoignant de l’évolution sociétale, l’intérêt pour les troubles psychiques post-traumatiques s’est généralisé avec l’essor de conceptions psychopathologiques, neurobiologiques et socio-anthropologiques. Mais, du fait de la présentation clinique même de ces troubles, le sous-diagnostic et les diagnostics tardifs, au stade des souffrances multiples, restent encore nombreux. Les reviviscences peuvent intégrer de nombreuses expressions cliniques qui ne correspondent pas uniquement à des comorbidités ou à des complications mais qui constituent d’authentiques formes cliniques psychiques post-traumatiques (expressions thymiques et anxieuses, deuils, mésusages de substances psychoactives, modifications de la personnalité, souffrances somatoformes et psychosomatiques, désadaptation sociale avec mise en péril de la quiétude du foyer et problématiques d’inscription professionnelle, etc.). Ces difficultés, intenses et riches sur le plan symptomatique, restent le plus souvent muettes concernant leurs origines psychotraumatiques. Malgré les progrès de la séméiologie psychiatrique, persiste une insuffisance à la caractérisation des troubles psychiques post-traumatiques. Et pourtant, parallèlement, de nombreux protocoles psychothérapiques ont émergé d’après différents référentiels théoriques (techniques comportementales et cognitives, pratiques hypnotiques, thérapies par mouvements oculaires, thérapies psychodynamiques, thérapies narratives, etc.). Enfin, si la neuroimagerie fonctionnelle, la référence neurobiologique au stress ou les récentes recherches concernant l’inflammation cérébrale sont intéressantes, ces avancées rendent compte des conséquences du traumatisme et non pas de ses causes. Il apparaît aujourd’hui nécessaire de construire un nouveau paradigme. Grâce à une approche innovante basée sur des concepts psycholinguistiques, nous proposons un modèle clinique spécifique du traumatisme psychique afin de mieux diagnostiquer les troubles psychiques post-traumatiques. Aussi, nous souhaitons dégager des marqueurs linguistiques permettant de mesurer l’efficacité des psychothérapies recommandées.
Matériel et méthode
L’analyse linguistique des troubles psychiques post-traumatiques ne compte dans la littérature internationale qu’une cinquantaine de travaux, souvent anciens et de conclusions parcellaires. À partir de recherches analysant quantitativement et qualitativement le discours de patients blessés psychiques, nous décrivons leurs perturbations psycholinguistiques en les illustrant d’exemples empruntés à la pratique clinique.
Résultats
Le syndrome psycholinguistique post-traumatique se définit d’après trois symptômes : l’anomie traumatique, les répétitions linguistiques et, la désorganisation discursive. L’anomie traumatique est constituée par une réduction quantitative du discours associant défaut de production, altération du débit verbal et pauvreté lexicale. L’anomie est en partie palliée par des conduites d’approches (déviation périphrasiques et circonlocutoires, approximations synonymiques, paraphasies sémantiques) et des mots ou expressions bouche-trous. Le traumatisme psychique laisse un vide langagier : le trauma se répète en creux. Les manifestations anomiques et conduites palliatives maintiennent une structuration répétitive. Les répétitions linguistiques prennent la forme de réitérations phonologiques et syntaxiques (stéréotypies verbales, prédilections, intrusions, persévérations et échophrasies, etc.). Une récitation sous forme littérale de l’éprouver traumatique reste parfois possible mais, sans dimension narrative. Ces marques linguistiques contraignent la flexibilité du discours en parasitant sa production et sa progression. La désorganisation phrastique et discursive comprend une discordance des temps (surreprésentation du présent au détriment du futur), une désubjectivation (via des marqueurs pronominaux indéfinis et impersonnels) et une dysfluence allant jusqu’à l’agrammatisme (par défaut d’emploi des connecteurs logiques et chronologiques). Sans déroulé construit, contenue par le peu de recours à l’implicite ou aux constitutions argumentatives, la conduite intentionnelle et finalisée du propos peine à exister. Ne se structure ainsi que peu d’interrelation évidente entre les thèmes, abordés de manière fragmentaire mais encore, fragmentée. Marquée de réductions quantitatives et qualitatives avec ses dimensions anomiques, répétitives et désorganisées, la discontinuité de la parole du sujet blessé psychique se manifeste selon un gradient témoignant d’une dissociation automatico-volontaire : plus la pensée du patient se rapproche de la scène traumatique et/ou de ses conséquences, plus les difficultés d’expression se majorent. Inversement, plus les cognitions et perceptions du sujet s’éloignent du trauma, plus ses capacités d’expression verbale redeviennent préservées.
Discussion
Le syndrome psycholinguistique post-traumatique s’avère le pendant verbal des symptômes séméiologiques cardinaux du trauma. L’anomie traumatique témoigne de l’instant indicible de dissociation per-traumatique, les répétitions linguistiques renvoient aux reviviscences, les perturbations discursives impriment la dissociation aux phrases. Témoin d’une désubjectivation, la prééminence des formes indéfinies et impersonnelles correspond à la dépersonnalisation face au trauma et, la désorganisation discursive rappelle la déréalisation perçue pendant l’horreur. Ces perturbations du discours de la personne blessée psychique apparaissent la conséquence de la dissociation traumatique dans le langage. Les fonctions extra-linguistiques (cognitions, émotions, affects, comportements, mémoires, etc.) sont dissociées non seulement entre elles mais, surtout, elles restent dissociées des grandes composantes du langage (signifiantes, signifiées, syntaxiques et pragmatiques). Sans doute faut-il y voir la cause de la pérennité du syndrome de répétition, mais encore, un levier d’action thérapeutique sur le modèle de certains débriefings destinés à reconstruire une parole apaisante.
Conclusion
À l’heure où différents protocoles de soins apparaissent parfois concurrents, l’analyse de la restauration du langage pourrait permettre d’unifier une conception spécifique du traumatisme psychique et de ses perspectives thérapeutiques. Des études psycholinguistiques associant analyses quantitatives et qualitatives du discours des personnes souffrant de trouble de stress post-traumatique pourraient permettre de définir des marqueurs d’efficacité des psychothérapies.
À propos de…
Un enfant autiste en psychanalyse : « Une démonstration éblouissante ». À propos de… « Louange, l’enfant du placard. Psychothérapie analytique d’un enfant autiste » de Christine Bouyssou-Gaucher
Page :647-650
Jean Claude Maleval, Michel Grollier
Épistémologie psychanalytique de la spiritualité. À propos de… « Dieu la mère », Trace du maternel dans le religieux » de Patrick Merot
Page :651-653
Didier A. Chartier
En couverture
Richard Monnier, Maintenance X2, 1985
Richard Monnier, Maintenance X2, 1985
Page :644-646
Norbert Godon