Volume 85, Issue 2: Criminologie

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Vol 85 – N° 2 – mai 2020


Le double parricide, archétype du passage à l’acte schizophrénique ?

Is double parricide an archetype of schizophrenic acting out?

Page :169-178

Sophie Raymond, Camille Larhant, Vincent Mahé, Eric Marcel

Résumé
Objectif

Le parricide, défini comme le meurtre sur ascendant, représente 2 à 3 % des homicides en France. Si cette incidence est relativement faible, le double parricide (meurtre du père et de la mère) est encore plus rare, estimé à 2 à 3 cas par an. La double horreur du crime semble signer la folie de l’auteur, mais le double parricide est-il réellement archétypique d’un passage à l’acte schizophrénique ?

Méthode

Après une revue de la littérature, nous exposons deux vignettes permettant d’explorer la dynamique psychopathologique de l’acte, en discutant les éléments cliniques et criminologiques.

Résultats

Dans la littérature, à l’exclusion des parricides adolescents (plus rarement le fait d’un trouble mental mais plutôt d’un sujet victime de maltraitance sévère), un profil-type du parricide adulte se dégage : un homme jeune, atteint de schizophrénie paranoïde avec un appoint toxique, une comorbidité antisociale, vivant au domicile parental dans une impasse situationnelle. Dans les cas de double parricide, si les vignettes cliniques de la littérature retrouvent ce profil, les études de cohorte relèvent une hétérogénéité diagnostique (troubles du registre schizophrénique, mais aussi troubles de l’humeur et troubles de la personnalité), également présente dans les deux cas que nous exposons.

Discussion

La revue de littérature et les cas présentés de double parricide mettent en lumière un substratum psychodynamique complexe ainsi qu’une diversité des pathologies psychiatriques en jeu. Si le premier cas apparaît pathologique sur un mode anté-oedipien schizophrénique, le second semble le résultat d’une combinaison entre élation de l’humeur, conflit intrafamilial ancien et motivation émotionnelle.

Conclusion

Les éléments présentés permettent d’ouvrir la discussion et de relativiser la tendance à attribuer les cas de double parricide exclusivement à des troubles du registre schizophrénique. L’analyse de l’acte doit intégrer une réflexion psychopathologique globale incluant l’existence d’éventuelles perturbations de l’humeur, mais aussi une étude de la dynamique familiale dans sa compréhension systémique, afin de préciser le rôle respectif de chacun de ces facteurs dans la génèse du passage à l’acte.


Le passage à l’acte homicidaire inaugural : mythe ou réalité clinique ?

Homicide as the inaugural symptom for psychiatric disorder: Truth or myth?

Page :179-192

Marion Azoulay, Stéphanie Obadia, Sophie Raymond

Résumé
Objectifs

Si le crime inaugural, décrit comme un passage à l’acte immotivé, brutal, irrationnel, signant l’entrée dans la maladie, est une notion classiquement retrouvée dans la littérature de la première moitié du XXe siècle, elle n’est plus abordée dans les articles scientifiques contemporains. Cette absence nous questionne : cette forme homicidaire est-elle un mythe ou une réalité clinique ?

Méthode

Après une revue de la littérature internationale, nous présentons les résultats d’une étude descriptive rétrospective réalisée à l’Unité pour Malades Difficiles Henri-Colin sur l’ensemble des patients admis au cours des dix dernières années dans les suites d’un passage à l’acte homicidaire commis en amont de toute prise en charge psychiatrique. Deux vignettes cliniques viennent ensuite illustrer nos résultats.

Résultats

La grande majorité des 19 patients de notre étude sont des hommes (94,8 %) jeunes (31,4 ans en moyenne), célibataires (63,1 %), sans emploi (63,1 %). Ils souffrent de schizophrénie paranoïde (63,1 %), avec une comorbidité addictologique associée (73,7 %), et passent à l’acte dans un contexte délirant (94,7 %). Les thématiques sont essentiellement persécutive mais également mystique et mégalomaniaque. La plupart des patients (89,5 %) présentent des troubles évoluant depuis plusieurs mois et même plusieurs années.

Discussion

La revue de la littérature contemporaine et les résultats de notre étude viennent largement nuancer la notion de crime inaugural. En effet, si les passages à l’acte étudiés signent l’entrée dans une prise en charge psychiatrique, ils viennent généralement révéler des troubles d’évolution chronique passés jusque là inaperçus. Différentes hypothèses peuvent être faites concernant ce retard dans l’accès aux soins : la symptomatologie présentée par le patient, son refus de consulter, son milieu de vie ou son isolement socio-affectif.

Conclusion

Aucune spécificité particulière n’est mise en évidence concernant ces passages à l’acte homicidaires commis en amont de toute prise en charge psychiatrique, tant sur le plan sociodémographique, que clinique ou criminologique. L’axe de réflexion et de prévention repose donc sur le repérage et l’intervention précoces dans le cadre des troubles psychiatriques, notamment du registre psychotique.


Le devenir des grands criminels

What Future for Serious Criminals?

Page :193-205

Flore Dionisio, Anne Faivre Le Cadre, Christine Lefèvre Ganahl

Résumé
Objectifs

Que deviennent ceux que l’on nomme les grands criminels une fois la condamnation prononcée et les voies de recours épuisées et en premier lieu qu’entend-on par le vocable de grand criminel ? Est-ce uniquement la qualification pénale d’une condamnation criminelle ou doit-on la combiner avec la durée de la peine ? La réitération des actes criminels est-elle une condition de cette appellation ou la « simple » condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité est-elle, quel que soit le motif de la condamnation, suffisante ?

Méthodes

À travers l’examen des différentes évolutions législatives et la confrontation entre les partenaires de l’institution judiciaire participant au devenir de ces sujets est mis en perspective le devenir de ces sujets.

Résultats

La difficulté de trouver une définition unique du concept de grand criminel illustre, à elle seule, la diversité des profils et des situations individuelles qu’elle recouvre. Cependant, compte tenu de la sociologie des détenus condamnés à de longues peines, la combinaison de trois critères, excluant la réitération des actes criminels, paraît pertinente pour définir le concept de grand criminel : la condamnation de l’individu, homme ou femme, à une peine criminelle, un reliquat de peine supérieur à 15 années et l’affectation de ce dernier en établissement pour peine, qu’il soit centre de détention ou maison centrale. Sont donc exclus des critères de définition la nature des actes ayant entraîné la condamnation, le fait que le détenu soit, ou on, récidiviste dans la commission d’actes criminels, ainsi que la tranche d’âge à laquelle il appartient. Au 1er juillet 2018 en France, selon les chiffres émanant de l’administration pénitentiaire 500 détenus purgeaient une peine perpétuelle, 1000 détenus environ une peine de réclusion criminelle supérieure à 20 ans et 5200 détenus une peine de réclusion criminelle supérieure à 10 ans, sur un nombre total de 71 000 personnes incarcérées.

Discussion

Pour ces grands criminels, comment concilier les objectifs posés par la loi s’agissant de la fonction assignée à la peine privative de liberté à savoir, préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne condamnée pour lui permettre d’agir en personne responsable, respectueuse des règles et des intérêts de la société et éviter la commission de nouvelles infractions, avec la question cruciale de la dangerosité ? Qu’il s’agisse ou non d’un grand criminel l’objectif du parcours carcéral doit rester identique : permettre un retour sécurisé à la vie civile du point de vue de la société et sécurisant pour le condamné. Ce retour sécurisé sera rendu possible si l’ensemble des intervenants : autorité préfectorale, juge de l’application des peines, représentants du ministère public, conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation, médecins coordonnateurs se coordonnent, l’enjeu en termes notamment de sécurité publique étant essentiel.

Conclusion

Évoquer le devenir des grands criminels impose, après la question de la gestion de la détention assez peu connue, de se pencher sur celle de l’aménagement de la peine. Les réformes de procédure pénale récentes, qui ont eu surtout pour but de lutter contre la surpopulation carcérale et de limiter le prononcé des courtes peines d’emprisonnement ont relativement peu porté sur les condamnés à de très longues peines. La prise en charge des grands criminels en détention puis au stade de l’aménagement de peine possède des spécificités. Les objectifs recherchés sont tout d’abord ceux communs à toutes les personnes purgeant une peine d’emprisonnement ou de réclusion criminelle à savoir la prévention de la récidive et la réinsertion du condamné, objectifs énoncés par l’article 707 du code de procédure pénale. Le suivi des grands criminels en cas de retour à la vie civile mérite également que l’on s’y arrête, car il se différencie du mode de prise en charge des autres dossiers.


Psychodynamique de la honte en prison : les poupées russes de la honte

Psychodynamics of shame in prison: The Russian dolls of shame

Page :207-215

Vincent Combes, Sara Skandrani, François Pommier

Résumé
Objectif

La honte, bien qu’omniprésente en prison, est souvent cachée ou masquée, enfouie derrière les barreaux. Elle reste peu étudiée par la recherche en psychologie. Nos travaux se sont intéressés à ce sentiment dans le cadre carcéral pour tenter d’en éclairer les visages et les cheminements.

Méthode

Notre recherche qualitative clinique a été menée dans une maison d’arrêt de la région parisienne, appuyée sur des entretiens de suivi psychothérapeutiques et des groupes de parole sur la parentalité avec des sujets incarcérés.

Résultats

La honte semble se manifester dès les premiers temps de l’incarcération à travers le corps et les non-dits. Puis elle se dessine plus nettement dans l’histoire des détenus, l’entrée dans la délinquance, ou encore le vécu de l’incarcération. Trois portraits nous permettent d’illustrer différents visages et cheminements de la honte.

Discussion

Nous faisons l’hypothèse du caractère central, répétitif et cumulatif de la honte chez les détenus, comme cinq poupées russes emboîtées : la honte germerait dans l’environnement socioculturel et familial ; elle prendrait racine dans la violence et les traumatismes ; elle se révélerait dans la psychodynamique délinquante ; elle serait amplifiée par l’incarcération ; et enfin elle serait transmise en héritage à la génération suivante.

Conclusion

Cette recherche confirme l’importance structurelle de la honte chez les détenus, déterminant majeur dans leur parcours et semble requérir une approche psychothérapeutique spécifique.


Rôle de l’usage de substances psycho-actives dans la commission d’infractions pénales par les sujets atteints de schizophrénie

The role of substance use disorder in the commission of criminal offenses by subjects suffering from schizophrenia

Page :217-228

Caroline Bègue, Martin Bouthier, Vincent Mahé

Résumé
Introduction

S’il existe une association maintenant établie entre schizophrénie et violence, le rôle médiateur d’un trouble de l’usage des substances psycho-actives associé est encore débattu. Les comorbidités addictives, retrouvées chez près de la moitié des sujets schizophrènes, expliqueraient principalement la délinquance de cette population, indépendamment du trouble mental. D’autres auteurs décrivent cependant l’existence de sous-groupes de schizophrènes violents pour lesquels l’émergence de comportements violents n’est pas nécessairement associée à la prise de substances psycho-actives.

Objectif

Le but de notre étude était d’évaluer la fréquence de trouble de l’usage de substances psycho-actives chez des sujets atteints de schizophrénie ayant commis des infractions pénales et de comparer les caractéristiques sociodémographiques, historiques, cliniques et criminologiques de ces sujets selon qu’ils présentaient un trouble de l’usage de substances psycho-actives associé ou non.

Méthode

Nous avons mené une étude descriptive à partir d’expertises psychiatriques réalisées entre 2001 et 2018 par un expert unique dans le cadre de procédures pénales. Tous les rapports impliquant des patients souffrant de schizophrénie ont été rétrospectivement inclus dans notre étude.

Résultats

Notre échantillon comportait 104 sujets atteints de schizophrénie et auteurs d’infractions pénales. Un trouble de l’usage de substances psycho-actives (USPA) était retrouvé chez 52 sujets (50 %). La comparaison des deux groupes ne faisait pas apparaître de différences significatives quant au type d’infractions commises. Cependant, on retrouvait des spécificités cliniques propres à chaque groupe. Ainsi, les sujets schizophrènes délinquants non-usagers de substances psycho-actives (NUSPA) présentaient significativement plus d’antécédents judiciaires de violence envers autrui (73,9 % VS 42,3 % ; p=0,026) et une symptomatologie psychotique aiguë au moment des faits (67,3 % VS 30,8 %, p<0,001). L’expert retenait majoritairement une abolition du discernement dans le groupe NUSPA (68,6 VS 32,7 ; p<0,01) et une altération du discernement chez les sujets schizophrènes usagers de substances psycho-actives (USPA) (31,4 % VS 67,3 % ; p<0,01).

Conclusions

La moitié des délinquants schizophrènes ne présentait pas de trouble de l’usage des substances comorbide. Le risque accru de délinquance des sujets atteints de schizophrénie ne peut donc pas être uniquement attribué aux effets de l’usage de substances associé. La délinquance associée à la maladie schizophrénique, en dehors de tout usage de substances psycho-actives, présente quelques particularités justifiant la poursuite d’études plus approfondies.


Discours de banalisation chez les personnes condamnées : de quelques aspects cliniques en contexte pénitentiaire

Banalization discourse in sentenced persons: Some clinical aspects in the penitentiary context

Page :229-238

Julien Denans

Résumé
Objectifs

L’emploi de la terminologie de « banalisation » s’est largement répandu dans le contexte judiciaire et pénitentiaire, comme une manière descriptive pour le professionnel (conseiller pénitentiaire, psychologue, magistrat…) de rendre compte de l’écart entre un délit institutionnellement sanctionné et le regard qu’y pose la personne condamnée. Ainsi entendons-nous parler au quotidien de personnes sous main de justice qui « banalisent leurs actes », sans pour autant que cette banalisation recouvre une définition claire et une opérationnalité, apparaissant davantage comme une catégorie générale et parfois « fourre-tout ». Cet écrit se donne pour objectif d’interroger l’usage de la banalisation afin de lui donner une définition plus précise, en particulier en fonction de ses enjeux psychodynamiques.

Méthode

À partir d’une pratique de psychologue en service pénitentiaire d’insertion et de probation, s’appuyant sur un matériel clinique autour de discours de banalisation, nous proposons de développer certains aspects de tels ancrages discursifs qui se situent à la croisée du sujet singulier et de la référence sociale, ou qui interrogent encore la notion de mécanisme de défense. Un détour par les travaux de H. Arendt permettra, en outre, d’élargir le champ théorique aux catégories de l’activité de pensée, de la responsabilité individuelle, du rapport à l’institution et à la culture (interdit, droit, normes…), tout comme de poser la distinction entre banalité et banalisation.

Résultats

Le discours de banalisation témoigne pour le sujet d’enjeux psychodynamiques en termes de capacité de penser ses actes, de dialectiser sa responsabilité individuelle, de se situer dans un rapport d’altérité, lesquels enjeux sont aussi à appréhender dans leurs connexions sociales (règles de vivre ensemble, normatif, institué). Les discours de banalisation impliquent de ce point de vue le sujet comme sujet du langage et du lien social, incarné ici dans le contexte institutionnel judiciaire et pénitentiaire.

Discussion

Le discours de banalisation, à la condition d’être questionné en dehors de simples considérations morales ou de jugement, ouvre à une figure discursive complexe pour le professionnel, au vu des déterminismes psychodynamiques, des références au cadre symbolique institutionnel et de l’expression d’une pratique de langage au sein du lien social. La banalisation interroge, de ce point de vue, le sens de la peine et les dispositifs de probation mis en place autour de la responsabilisation de la personne sous main de justice.

Conclusions

La banalisation, au-delà de la personne qui banalise, renvoie à une vision clinique plus large en milieu pénitentiaire, dès lors qu’elle touche à la subjectivation de l’événement judiciaire, aux modalités d’inscription du sujet dans le lien social et à ce qui le régule, aux préoccupations empathiques, à la capacité à penser ses actes, au rapport au référentiel commun et ses impératifs de limites… En cela, la banalisation se pose comme une figure de langage qu’il s’agit d’appréhender au-delà de la simple description d’un écart de représentation.


Le trauma de l’agresseur à l’origine du trouble de stress post-traumatique. Implications psycho-légales concernant le sujet « auto-traumatisé »

The trauma of the aggressor at the origin of post-traumatic stress disorder: Psycho-legal implications for the “self-traumatized” subject

Page :239-250

Claude Carnio, Yann Auxéméry

Résumé
Problématiques

Est-il possible, pour un agresseur, de souffrir d’un traumatisme psychique issu de son passage à l’acte ? Cette interrogation, d’apparence provocatrice, n’en soulève pas moins une myriade de questionnements théoriques et cliniques.

Objectifs

Nous abordons cette problématique de l’« agresseur auto-traumatisé » selon plusieurs axes de réflexion : anthropologiques, psychopathologiques et psycho-légaux.

Matériel et méthodes

Après critique anthropologique de l’histoire du trauma dans la nosographie psychiatrique contemporaine, nous illustrons grâce à une situation clinique détaillée, combien la prise en compte consciencieuse de l’anamnèse s’avère majeure au diagnostic de trouble post-traumatique, notamment en contexte expertal. Plutôt qu’une interrogation sur la responsabilité pénale, les impacts médico-légaux concernent bien davantage les questions de réparation juridique du dommage psychique.

Résultats

Depuis l’antiquité, les descriptions des troubles psychiques post-traumatiques s’inscrivent dans l’histoire des sociétés, entre redécouvertes et oublis, jusqu’à la guerre du Vietnam qui marqua profondément la société américaine. Les années éloignant des combats, l’enjeu sociétal devint non plus tant la question pénale face à la mort donnée par les soldats sur le terrain, mais la prise en charge thérapeutique et de réparation juridique du dommage résultant de troubles psychiques massifs parmi les vétérans. Sous pressions des compagnies d’assurance souhaitant des critères précis permettant d’ouvrir des droits à indemnisation, l’existence des troubles post-traumatiques resurgit sous la dénomination de Post-traumatic stress disorder en 1980, à l’occasion de la parution du DSM-III. Si la notion d’actes hétéro-agressifs générateurs de trauma apparaît à l’origine de l’inscription du trouble post-traumatique dans la classification, les études épidémiologiques et psychopathologiques précisément consacrées à ce phénomène restent rares. Nous détaillons la situation clinique de Hans, ancien légionnaire adressé au sapiteur psychiatre et dont l’expertise s’annonçait banale. Depuis « l’agression », comme il dit, avec une chute survenue à ses 64 ans, « sans gravité » d’après plusieurs médecins, cet homme ressentait des douleurs à l’épaule, dormait mal, devenait irritable et ruminait, au point d’avoir dû consulter un psychiatre. Le médecin-expert missionné par le tribunal, au terme de son examen trois ans après les faits, avait logiquement sollicité l’adjonction d’un sapiteur. Dans son courrier de liaison, il annonçait ne pas bien comprendre comment cet ancien légionnaire, qui « avait dû en voir bien d’autres… », ne se remettait pas, psychologiquement, d’un tel événement considéré « objectivement » mineur avec cette lésion simple de l’épaule. Le récit du consultant allait éclairer un tout autre aspect des choses, révélant une dynamique psychotraumatique insoupçonnée.

Discussion

Intrinsèquement, la clinique du trauma perturbe l’analyse psycho-légale, autant que de multiples confrontations potentiellement traumatiques et autres facteurs majeurs de stress émaillent le parcours de vie. Doit-on imputer un trouble post-traumatique à l’événement l’ayant initialement favorisé, ou bien, au fait l’ayant causé ensuite, ou finalement, après la phase de latence, aux éléments ayant rappelé les reviviscences ? Les conséquences médicales et psychologiques de l’événement traumatique, même tardives, lui sont imputables. Mais doit-on considérer imputable une cirrhose éthylique causée par un alcoolisme secondaire à un trouble de stress post-traumatique ? Doit-on considérer la présence d’une cicatrice résultant d’une tentative d’autolyse actée lors d’une dépression post-traumatique ? Doit-on considérer des troubles psychotiques induits par des substances psychoactives consommées à visée sédative dans les suites du fait générateur ? De telles situations sont complexes : l’expert argumentera au cas par cas sa compréhension de la chronologie des troubles et son analyse de la relation de signification des symptômes au fait générateur, toujours en fonction du cadre juridique.

Conclusions

L’expertise est un moment capital pour le sujet. Si la personne considérée attend parfois de l’expert des conseils thérapeutiques, nul ne peut être médecin-expert et médecin-traitant du même consultant (sauf en milieu militaire, dans un contexte d’urgence ou de réquisition judiciaire). Toutefois, selon les termes du décret de 1992 applicable aux personnes victimes de guerre et d’attentat, « l’expert accomplit une tâche qui comporte indirectement une dimension thérapeutique ». L’attitude du praticien est bienveillante, aussi proche possible de celle de la relation de soins : en dépend la validité de l’évaluation clinique. N’oublions pas que, comme Hans, certaines personnes blessées psychiques se confient pour la première fois. Mésestimer l’impact subjectif d’un trauma pourrait ici conduire à ce que Claude Barrois nomme le « traumatisme second ». Si les conséquences sur le symptôme restent imprévisibles, une expertise bien menée, quelles que soient les conclusions, amène un soulagement. La mise en mot de l’événement, l’affirmation d’une date de consolidation et la reconnaissance des séquelles imputables permettent souvent une nouvelle projection du sujet vers l’avenir.


Forum

Dispositif carcéral et dispositif documentaire, regards croisés sur le traitement des auteurs d’actes incestueux. Entretien avec Guillaume Massart

Comparing prison and documentary contexts on the treatment of incest offenders. An interview with Guillaume Massart

Page :251-263

Clara Duchet, Joséphine Truffaut, Marcela Gargiulo

Résumé
Objectif

Étudier les effets de deux dispositifs, carcéral et cinématographique, à Casabianda, une prison sans barreaux située en Corse, dans laquelle 80 % des détenus ont commis des faits de violence sexuelle intrafamiliale sur mineurs de moins de quinze ans.

Méthode

Nous avons interviewé Guillaume Massart, auteur du film « La Liberté », qui a suivi pendant une année la trajectoire d’hommes condamnés pour des actes incestueux.

Résultats

Le film conduit à une réflexion sur le cadre et ce qu’il imprime au discours. Un certain jeu de la pensée redevient ici possible pour les détenus du fait de la relative mise en sourdine de ce que la prison a traditionnellement de plus dévastateur.

Discussion

La disparition du confinement et de la violence brute permet de mieux appréhender le poids des déterminants individuels dans la possibilité ou non de subjectiver le réel dont ces trajectoires accusent le coup. Le holding proposé par le dispositif documentaire autorise certains détenus de se saisir de cette occasion inattendue pour qu’une parole surgisse, parole libératrice de conflits internes, empreinte d’associations libres permises par le dispositif intimiste de l’« homme caméra ».

Conclusion

Les dispositifs, cinématographique et carcéral, semblent offrir une médiation entre l’espace géographique qui entoure les détenus et leur espace psychique pour que l’impensable de l’inceste puisse donner lieu à une transformation, avec des retombées potentielles sur le traitement psychique de la violence de ces auteurs.


Ouvertures

La notion de paradigme indiciaire dans l’élaboration de la psychanalyse par Sigmund Freud

The notion of the evidential paradigm in the development of psychoanalysis by Sigmund Freud

Page :265-272

Loïc Bach, Mégane Heritier, Rassial Jean-Jacques

Résumé
Objectif

L’objectif du présent article est de questionner les propos de l’historien Carlo Ginzburg concernant l’influence de la théorie de l’attribution en art de Giovanni Morelli sur la construction de la psychanalyse par Sigmund Freud, ainsi que la pertinence du rapprochement des deux auteurs au sein d’un paradigme épistémologique bien particulier qu’il nomme le paradigme indiciaire.

Méthode

L’article présente tout d’abord la problématique générale, puis la théorie de Ginzburg sur le paradigme indiciaire et celle de Morelli sur l’attribution en art. Cela nous permet ensuite d’aborder directement l’influence que Morelli a pu exercer sur Freud aux premiers temps de l’élaboration de la psychanalyse, notamment autour de la problématique posée par la surdétermination.

Résultats

Nous pouvons trouver l’influence de la méthode de Morelli sur la psychanalyse dans la façon dont Freud va appréhender le problème de la surdétermination du symptôme et dans la manière de considérer la surabondance de détails du matériel clinique qu’offre le patient dans le discours comme un outil précieux de l’analyse plutôt que comme un obstacle. Nous pouvons effectivement retrouver les principes du paradigme indiciaire dans la psychanalyse du fait qu’elle cherche à retrouver une réalité inaccessible au premier abord, celle de l’inconscient, à partir des traces de cet inconscient qui émerge dans le discours du patient.

Discussion

Nous avons ensuite voulu interroger les limites de ce rapprochement, et ainsi déterminer si la psychanalyse telle que Freud l’a conçue relève effectivement d’une adaptation des principes de Morelli à un autre objet, ou s’il n’a fait que s’inspirer des apports théoriques et pratiques de ce dernier, pour ensuite concevoir la psychanalyse comme une méthode dépassant les principes du paradigme indiciaire.

Conclusion

Nous avons ainsi pu montrer que la psychanalyse ne se limite pas aux principes du paradigme indiciaire dans son approche de l’inconscient, notamment à partir de l’évolution de la conception freudienne de l’interprétation.


Plis et replis dans l’habiter

Inhabiting: Unfolding and withdrawal

Page :273-280

Lucia Bley

Résumé
Objectifs

À partir du témoignage de Monsieur N., résident dans un foyer d’hébergement d’urgence, nous questionnons l’expérience subjective de l’isolement et du repli, en lien avec une clinique de l’habiter.

Méthode

Nous partons de la définition de « l’esseulement » proposée par Jean Oury pour mieux saisir l’expérience de ces sujets qui ne parviennent à être « ni sans ni avec », ce qui nous permet d’établir l’écart existant entre solitude et isolement. Par une approche étymologique et une étude des travaux de Gilles Deleuze, nous proposons de retravailler l’habiter à la lumière du motif du pli et de son envers, le repli.

Résultats

Concevoir l’habiter, en termes d’ouverture de plis, de cheminements et de traces, nous permet d’avancer une nouvelle conception clinique et théorique du « repli ». De celle-ci découle la nécessité de penser le soin psychique en institution en termes de libre circulation, d’instauration de seuils et de rapport à l’ouvert, comme le soutient la pratique de la psychothérapie institutionnelle.

Discussion

Nous faisons le constat que le « pousse à l’autonomie » actuel n’est pas sans risques pour certains individus. Pour ceux qui ne parviennent pas à investir un chez-soi, nous montrons qu’il est nécessaire de continuer à envisager un accueil et un soin inscrit dans le collectif, véritable travail qui doit être pensé en termes « d’être avec » et de « faire avec ».

Conclusion

Pour combattre « l’esseulement » et le repli du sujet, il s’agit de créer collectivement une scène ouverte dans un tissu institutionnel composé de plis, qui rendent possible passages, séparations et circulations.


Revue de la littérature

Dispositifs thérapeutiques par l’écriture à l’adolescence : une revue systématique de la littérature

Therapeutic writing practices with adolescents: A systematic literature review

Page :281-297

Corentin Boulay, Nadine Demogeot, Joe?lle Lighezzolo-Alnot

Résumé
Objectifs

Cette revue systématique de la littérature a pour objectif de faire l’état de l’art sur la question de l’utilisation de l’écriture à des fins thérapeutiques auprès d’une population d’adolescents. Nous souhaitons mettre en évidence les effets des interventions thérapeutiques par l’écriture et les différentes modalités d’intervention reposant sur l’écriture, mobilisées par les professionnels du soin ou de l’accompagnement. Il s’agit également de mettre en lumière la pluralité des champs disciplinaires qui utilisent l’écriture en contexte thérapeutique auprès d’adolescents en souffrance à l’appui des publications disponibles dans la littérature.

Méthode

Nous avons eu recours à la méthodologie PRISMA pour sélectionner les recherches pertinentes au regard de notre objet d’étude et avons procédé à une recherche par mots-clés sur les bases de données suivantes : « PsycInfo et Psycarticle », « Web of science », et « Science Direct ». Ce sont ainsi 70 références qui ont été retenues pour l’élaboration de cette revue.

Résultats

Notre recherche met en évidence que l’écriture est souvent mobilisée dans des contextes thérapeutiques liés aux soins psychiques et somatiques pour favoriser l’engagement des adolescents dans un processus thérapeutique. Par ailleurs, les professionnels recourent aussi à l’écriture pour aider à la diminution des états anxieux et permettre aux adolescents de déployer des processus de dévoilement émotionnel, de décentration et de prise de distance par rapport à leur histoire personnelle.

Discussion

Les effets thérapeutiques de l’écriture ont été étudiés à partir de travaux relevant de perspectives principalement cognitivo-comportementales et, dans une moindre mesure, psychodynamiques. Bien que les modèles explicatifs soient différents, les études produites dans ces deux paradigmes montrent les effets positifs des dispositifs par l’écriture sur les adolescents.

Conclusion

La littérature sur le sujet est avant tout constituée d’études de cas uniques, qui offrent peu de reproductibilité. Dans ce champ de l’écriture en contexte thérapeutique, la majeure partie des études s’inscrit dans un cadre cognitivo-comportementaliste plus que psychodynamique. Des recherches ultérieures sont à envisager pour étayer l’efficacité de ces dispositifs, notamment dans un référentiel psychanalytique.


À propos de…

Traumatisme extrême et destins psychiques : À propos de … « Mourir d’écrire ? Shoah, traumas extrêmes et psychanalyse des survivants » de Rachel Rosenblum

Page :305-310

Virginie Lefebvre


Psychoses et langages. À propos de… « Psychoses et langages – scènes psychothérapiques du dire » de Jean Broustra

Page :311-315

Adrien Altobelli


Précision de « Psychanalyse et psychoses. À propos de… « Histoire du traitement des psychoses par la psychanalyse » de David Monnier »

Page :317

David Monnier

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