
Chères amies, chers amis,
Nous venons d’apprendre, il y a quelques heures, par Pierre Chenivesse et Eduardo Mahieu, une triste nouvelle : le décès ce jour 13 septembre 2020, du Dr Jean Garrabé, le premier président et fondateur avec Robert Michel Palem de l’Association pour la Fondation Henri Ey pour laquelle il a œuvré pendant de nombreuses années (1995-2020), étendant son influence au-delà des frontières nationales et des sociétés savantes dont L’Evolution psychiatrique qu’il présidait, succédant ainsi à notre maître Henri Ey. Ses ouvrages sur Henri Ey, dont sa Schizophrénie, Etudes cliniques et psychopathologiques rééditant 22 articles d’Henri Ey sur la schizophrénie (1996) et son Henri Ey et la pensée psychiatrique contemporaine (1997), traduits en plusieurs langues dont l’espagnol, le japonais et le russe, ont fait le tour du monde et sont devenus des classiques déjà réédités.
Personnellement, nous lui devons beaucoup. Il nous a soutenu avec confiance dans l’aventure -c’en était une !- de la rééditions des œuvres d’Henri Ey et il a volontiers prêté sa plume pour une magistrale introduction aux Etudes psychiatriques (Crehey, 2006), notre première réédition. Il était devenu notre compagnon de route et a été tout naturellement notre membre d’honneur au Crehey –il n’avait pas voulu en être président– après nous avoir initié aux colloques et aux congrès internationaux de la fameuse « mondiale » et avoir favorisé les traductions de nos éditions en espagnol avec Humberto Casarotti jusqu’en japonais avec Toshiro Fujimoto.

Président ou membre éminent des principales sociétés savantes nationales, il avait le don de dire en esquissant un petit sourire, comme l’avait bien observé Juan Carlos Stagnaro qui l’invitait à Buenos Aires, les propos les plus scientifiquement ou historiquement sérieux, sourire qui les replaçait ainsi dans un contexte dialectique de recherche et soulignait tous les enjeux humains qu’ils contenaient. Il nous rappelait souvent que lorsque M. Schou avait fait sa communication princeps sur le Lithium, la salle était vide, soulignant ainsi que si l’acte de communiquer est indispensable, l’auditoire du moment enthousiaste ou indifférent n’est pas essentiel à l’avancée de la science… Et s’il savait parfaitement organiser ses liens avec ses collègues de haut rang, il préférait toujours être entouré de jeunes psychiatres avec lesquels il partageait volontiers ses déjeuners tout en les nourrissant d’anecdotes succulentes. C’est ainsi qu’il nous a mené en passant par Madrid et Barcelone, du Japon jusqu’en Amérique du Sud à Buenos aires où nous l’avions entrainé dans de longues et éprouvantes promenades pédestres en ville de quartiers en quartiers, faire les visites essentielles pour finir par s’assoir (et s’assoupir…) dans les confortables fauteuils mythiques de velours rouge et bois doré du fameux Théâtre-Opéra, le Teatro Colon qui accueillit en son temps Sarah Bernhardt. Il pouvait être épuisé, mais il suivait, racontant alors sa famille et ses petits-enfants, puis le lendemain, il reprenait sa place et présidait les jeunes lors du symposium qu’il soutenait de sa présence. De fait, il ne courrait pas après les honneurs, mais il les recevait naturellement comme témoignage de la gratitude des uns et des autres de leur avoir consacré son temps et sa science, son humeur inaltérable et sa confiance.
Nous perdons un homme remarquable, de grand savoir, aussi à l’aise avec l’histoire de la peinture du Greco visitée avec lui à Madrid, le dernier achat des amis du musée du Louvre ou sa trouvaille dans les librairies-bibliothèques de Barcelone, qu’avec la succession des théories sur la schizophrénie…
Nous perdons un homme de liens, liant le local au national et au mondial sans distinction de rang ou d’âge, un correspondant assidu à l’écriture manuscrite impeccable qui résista longtemps au fades « courriels » du temps présent.
Nous perdons un homme engagé dans le monde dans un combat pour maintenir au plus haut les valeurs humaines de la psychiatrie, c’est là son œuvre essentielle et le sens de son dévouement à l’histoire de notre discipline
Nous perdons un compagnon, un ami même, malgré notre différence de génération, c’est là sa générosité naturelle.
Son œuvre savante est impressionnante et nous nous joindrons à ceux qui se donneront pour tâche de la sauvegarder et à ceux qui œuvreront pour que nos Cahiers Henri Ey lui rendent l’hommage qu’il mérite et que nous lui devons
Nous nous joignons à la peine de sa famille et de ses amis intimes pour lesquels il fût bien plus que ce que déjà pour nous il était.
Dr Patrice Belzeaux
Membre de l’Evolution psychiatrique
Président du Crehey, Perpignan
Secrétaire de l’Apfhey, Perpignan