Appel à communications : Crise environnementale et psychopathologie

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Publication : N°2 – 2025

Coordinateurs : Renaud Evrard, Bernard Andrieu et Claire Invernizzi

Date limite de soumission sur EES : Décembre 2024

La psychiatrie intègre depuis longtemps des facteurs environnementaux dans sa compréhension des maux humains. La dépression saisonnière est un concept populaire, qui a un temps trouvé sa place dans le DSM, avant d’être réfuté par des études plus poussées (Posternak & Zimmerman, 2002). Un facteur biologique lié aux grippes saisonnières est susceptible d’expliquer les corrélations entre certains troubles psychiatriques et les saisons de naissance (Castrogiovanni et al., 1998). La météorologie influerait sur notre moral, tant du côté du mauvais temps (Boudoukha, 2015) que des fortes chaleurs (Li, Ferreira & Smith, 2020). Ainsi, certains facteurs environnementaux sont de plus en plus pris en considération dans le repérage des fluctuations de la santé mentale. Mais qu’en est-il des répercussions de l’actuelle crise environnementale sur le psychisme ?

Plusieurs congrès psychiatriques et psychologiques, ainsi que des numéros spéciaux de revue, se sont penchés récemment sur cette thématique. Il s’agira ici d’aborder de façon globale et systématique les liens entre crise environnementale et psychopathologie. En effet, plusieurs voies d’entrée nous conduisent à l’examen de ces liens, avec un vocabulaire très changeant d’un auteur à l’autre. Nous invitons les auteurs, à partir de leurs pratiques et de leurs réflexions, à participer à l’édification de ce savoir à la rencontre entre l’écologie et la psychopathologie.

Popularisé sous le terme d’ « éco-anxiété », une plainte se fait entendre chez certains sujets, quitte à devenir pour certains le premier motif de consultation. Cette crainte liée à la menace existentielle posée par la crise environnementale est caractérisée par l’incertitude, l’imprévisibilité et l’incontrôlabilité (Pihkala, 2020). Une de ses spécificités étant de savoir qu’il y a un danger, sans savoir quoi faire ou sans pouvoir agir pour limiter le danger (Ingle et Mikulewicz, 2020). Comment cette plainte est-elle reçue, comprise et accompagnée dans les champs respectifs de la psychiatrie, de la psychopathologie et de la psychanalyse ? Souvent confondue avec l’éco-anxiété, la solastalgie (Albrecht, 2005) est une forme de nostalgie, un sentiment de tristesse ressenti par un individu qui voit son environnement changer à cause du changement climatique, ou qui de manière générale est témoin de la crise environnementale. Il existe même désormais une échelle de détresse environnementale qui la mesure (Galway et al., 2019). De plus, les individus ne s’inquiètent pas uniquement pour eux-mêmes, mais aussi pour l’environnement non-humain dont ils devraient entamer un « deuil écologique » (Cunsolo et Landman, 2017). S’agit-il véritablement d’une nouvelle clinique ? Des nouvelles enveloppes prises par les symptômes associés au Malaise dans la civilisation (Freud, 1929)?

La dégradation de l’environnement par l’homme lui-même est considéré par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS, 2021) comme la plus grande menace du XXIe siècle pour la santé, tant sur le plan physique que mental. Un verdict similaire à celui de la Commission Lancet sur la santé et le changement climatique (Watts et al., 2015) et l’Association psychiatrique américaine (Ursano et Morganstein, 2017). Cette menace va toucher non seulement les individus directement affectés par les conséquences concrètes de cette crise, mais aussi ceux qui, informés d’une manière ou d’une autre, sentent peser ce danger sur leur quotidien, leur avenir et leurs descendants. Les médias multipliant les sondages à ce sujet décrivent – tout autant qu’ils construisent – une inquiétude croissante qui se surajoute aux autres facteurs de stress et de vulnérabilité, précipitant parfois des décompensations.

De la même façon qu’une réflexion nourrie a porté sur l’architecture des institutions psychiatriques, cette interrogation pourrait s’élargir au vaste milieu dans lequel les humains vivent. Dans son analyse du syndrome indien, le psychiatre Régis Airault mettait en évidence l’importance de nos cadres mentaux de référence dans la conservation de notre stabilité psychique : « notre réalité est sous la dépendance de l’univers symbolique qui nous détermine et des fantasmes qui nous animent. Si nous sommes trop longtemps exposés à un univers trop différent du nôtre, cette réalité “se défait” » (Airault, 2002, p. 106). La nature, celle que nous avons appris à connaître, est aussi un cadre mental auquel nous parvenons plus ou moins à nous connecter, avec des effets positifs et négatifs pour notre santé mentale. La pandémie du COVID-19 a montré comment et avec quelles conséquences ces cadres mentaux, supposés inviolables, pouvaient être attaqués. Qu’en est-il des situations où, sur la base d’arguments scientifiques, des scénarios apocalyptiques prédisent une accélération et une multiplication de catastrophes qui n’épargnent plus personne ? La crainte de l’effondrement décrite par Winnicott (1967) serait-elle sur le point de s’étayer sur la collapsologie ? Que se passe-t-il chez un sujet pour que cette préoccupation affective et rationnelle laisse place à des manifestations psychopathologiques ?

L’objectif secondaire de ce numéro est de comprendre comment les dispositifs cliniques sont eux-mêmes susceptibles d’être affectés par la crise environnementale, par exemple en aménageant une place aux formes multiples de l’éco-anxiété, révélatrices de nombreux enjeux psychiques. Les dimensions économiques, sociétales et politiques seront invitées à œuvrer dans cette réflexion générale sur certains horizons cliniques d’un monde qui change.

Thématiques attendues :

  • Traumatismes et souffrances liées à des catastrophes naturelles
  • Changements climatiques et bouleversements identitaires
  • Santé mentale et (dé-)connexion à la nature
  • Constats écologiques, représentations sociales et résistances au changement
  • Collapsologie et paranoïa
  • Définitions et conceptualisations de l’éco-anxiété, solastalgie, deuil écologique…
  • Dispositifs d’accompagnement des souffrances psychiques liées à l’environnement
  • Pratiques cliniques prenant la nature pour ressources (jardins, forêts, promenades…)
  • Ressources communautaires et entraides face à l’éco-anxiété

Références

Airault, R. (2002). Fous de l’inde. Délires d’Occidentaux et sentiment océanique. Paris : Petite Bibliothèque Payot.

Albrecht, G. (2005). « Solastalgia ». A New Concept in Health and Identity. Philosophy Activism Nature, 3, 41-55.

Boudoukha, A.H. (2015). Pourquoi le mauvais temps influe-t-il sur notre moral ? France Culture, https://www.franceculture.fr/conferences/pourquoi-le-mauvais-temps-influe-t-il-sur-notre-moral

Castrogiovanni, P., Iapichino, S., Pacchierotti, C., & Pieraccini, F. (1998). Season of birth in psychiatry. A review. Neuropsychobiology37(4), 175–181. https://doi.org/10.1159/000026499

Cunsolo, A., et Landman, K. (Eds.). (2017). Mourning nature: Hope at the heart of ecological loss and grief. McGill-Queen’s University Press.

Freud, S. (1930). Das Unbehagen in der Kultur. Internationaler Psychoanalytiker Verlag.

Galway, L. P., Beery, T., Jones-Casey, K., et Tasala, K. (2019). Mapping the Solastalgia Literature : A Scoping Review Study. International Journal of Environmental Research and Public Health, 16(15), 2662.

Ingle, H. E., et Mikulewicz, M. (2020). Mental health and climate change: Tackling invisible injustice. The Lancet Planetary Health, 4(4), 128‑130.

Li M, Ferreira S, Smith TA (2020). Temperature and self-reported mental health in the United States. PLoS ONE 15(3): e0230316. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0230316

Organisation Mondiale de la Santé. (2021). « Climate change and human health: Who calls for urgent action to protect health from climate change – Sign the call », WHO, https://www.who.int/globalchange/global-campaign/cop21/en/ (consulté le 30 avril 2021).

Pihkala, P. (2020). Anxiety and the Ecological Crisis: An Analysis of Eco-Anxiety and Climate Anxiety. Sustainability, 12(19), 1‑20.

Posternak, M.A., Zimmerman, M. (2002). Lack of association between seasonality and psychopathology in psychiatric outpatients. Psychiatry research, 112(3), 187-194.

Ursano, R., et Morganstein J. (2017). American Psychiatric Association Position Statement: Mental Health and Climate Change.

Watts, N., Adger, W. N., Agnolucci, P., Blackstock, J., Byass, P., Cai, W., Chaytor, S., Colbourn, T., Collins, M., Cooper, A., Cox, P. M., Depledge, J., Drummond, P., Ekins, P., Galaz, V., Grace, D., Graham, H., Grubb, M., Haines, A., … Costello, A. (2015). Health and climate change: Policy responses to protect public health. The Lancet, 386(10006), 1861‑1914.

Winnicott D. W. (1967). La crainte de l’effondrement et autres situations cliniques. Paris : Gallimard.