par Nicolas Dissez.
C’est avec une grande tristesse que nous apprenons la disparition, le 20 octobre 2022 à l’âge de 91 ans, du Docteur Charles Melman. Psychiatre et psychanalyste, élève de Jacques Lacan mais aussi de Georges Daumézon, il a toute sa vie défendu les enjeux d’une psychanalyse renouvelée par l’enseignement de Jacques Lacan et soucieuse de ses liens avec la psychiatrie.

Il rencontre Jacques Lacan au cours de ses études de médecine, allant le consulter sur les conseils de Jean Laplanche avec qui il préparait le concours de l’internat. Assistant de Georges Daumézon au Centre Henri-Rousselle à l’Hôpital Sainte-Anne, il coopère avec lui au rapport du Congrès de Psychiatrie et de Neurologie de Langue Française [1] de 1970 intitulé Apport de la psychanalyse à la sémiologie psychiatrique. Il lui rendra hommage dans le recueil rédigé après sa disparition, Mélange en l’honneur de Georges Daumézon. Regard, accueil, présence [2].
Responsable dès l’âge de 31 ans de la direction de l’École Freudienne de Paris, il y organise les colloques et contribue à de nombreux travaux dont plusieurs concernent la psychose [3]. Il écrit ainsi, dans la revue Scilicet, dont il est le directeur à la demande de Jacques Lacan, une Introduction critique à l’étude de l’hallucination [4], dont l’importance reste essentielle aujourd’hui. Il publie également dans cette période dans la revue Analytica, un article intitulé Schreber, L’aventure paranoïaque [5].
À la mort de Jacques Lacan, il fonde avec Jean Bergès, Marcel Czermak et Claude Dorgeuille l’Association Freudienne qui deviendra l’Association Freudienne Internationale puis l’Association Lacanienne Internationale. Les liens constants de cette école avec la psychiatrie se traduisent, dès son origine, par la décision de poursuivre sous la direction de Marcel Czermak au Centre Henri-Rousselle et rn alternance avec lui, ce qui avait été la présentation de malades de Jacques Lacan. Ils continueront pendant près de vingt ans.
Il a tient, de 1983 à 2002, un séminaire au sein de l’Association Lacanienne Internationale dont plusieurs titres témoignent de son attention régulière à la clinique des psychoses : Retour à Schreber, Les paranoïas, Les structures lacaniennes des psychoses…
À la suite de son exercice au Centre Henri-rousselle, après de brèves fonctions de Psychiatre des Hôpitaux dans la région de Saint-Omer, il s’installe comme psychanalyste à Paris où il a formé plusieurs générations de praticiens, tenant sa place à son bureau de consultation jusqu’à ses derniers jours. Nombreux sont ses analysants témoignant aujourd’hui d’une rencontre décisive avec un praticien fortement engagé auprès de ses patients jusque dans l’accompagnement vers les formes les plus graves de la maladie,
Psychanalyste aux prises de positions courageuses et parfois controversées, il allie rigueur théorique dans sa fidélité à l’enseignement de Jacques Lacan et inventivité toujours renouvelée dans sa pratique.
Ses liens avec L’évolution Psychiatrique sont anciens, emblématisés par son amitié avec Jean Garrabé, auquel il rendait hommage en octobre 2021 lors de la journée qui lui a été consacrée [6]. Il a fondé avec son ami et ancien camarade de régiment le Collège de Psychiatrie, lieu actif d’enseignement d’une psychiatrie soucieuse de l’apport de la psychanalyse. Membre titulaire de L’Évolution Psychiatrique, il a publié au sein de notre revue plusieurs articles importants dont La paranoïa, une clinique nouvelle [7]. Les actes du colloque de 2003 « Psychanalyse, psychiatrie, objets perdus, objets présents », coorganisé avec l’Association Lacanienne Internationale, ont été réunis dans un numéro de L’évolution Psychiatrique [8] et témoignent de ce lien avec notre groupe et sa revue.
Il évoquait il y a un an, à la suite de son chaleureux et très personnel hommage à Jean Garrabé, son vœu d’un travail en commun entre l’École Pratique de Hautes Études en Psychopathologie qu’il avait fondé et L’Évolution Psychiatrique. Souhaitons que ce travail puisse se concrétiser et maintienne actifs les liens entre la psychanalyse et une psychiatrie soucieuse des avancées de la psychopathologie.
Références
[1] Melman C. L’apport des conceptions de J. Lacan à la sémiologie psychiatrique. In : Apport de la psychanalyse à la sémiologie psychiatrique. Congrès de Psychiatrie et de Neurologie de langue Française, LXVIIIe session, Milan, 7-12 septembre 1970. Paris : Masson ; 1970. p. 125-133.
[2] Melman C. L’autre jouir. In : Lantéri-Laura G, dir. Mélanges en l’honneur de Georges Daumézon : regard, accueil, présence. Toulouse : Privat ; 1980. p. 369-371.
[3] Melman C. Des psychoses d’un point de vue lacanien. [internet] Bulletin intérieur de l’École Freudienne de Paris 1979 ; 27 sept : 11-16. [Lettres de l’École Freudienne de Paris (Les psychoses)]. Disponible sur : https://ecole-lacanienne.net/wp-content/uploads/2016/04/Lettres-de-lEFP-27-1.pdf
[4] Melman C. Introduction critique à l’étude de l’hallucination. Scilicet 1968 ;1 ; 120-134 [à noter que conformément à la tradition de cette revue, l’article est non signé].
[5] Melman C. Schreber, l’aventure paranoïaque. Analytica, Cahiers de recherche du champ freudien 1980 ; 18 : 1-60.
[6] Melman C. Jean Garrabé (1931-2020). Évol Psychiatr 2021 ; 86 (SP) : S71.[Numéro spécial Jean Garrabé, ambassadeur de la psychiatrie]
[7] Melman C. La paranoïa une clinique nouvelle. Évol Psychiatr 1985 ; 70 (1) : 665-674.
[8] Melman C. L’objet en psychanalyse. Évolution Psychiatrique 2005 ; 70 (1) : 11-17. [Colloque Psychanalyse, Psychiatrie, objets perdus, objets présents, octobre 2003, Paris]