Né à Clermont-Ferrand le 1er janvier 1927, Jacques Postel était issu de la petite bourgeoisie provinciale : père dentiste et mère au foyer. Il a occupé une place originale dans l’ensemble du champ psychiatro-psychanalytique français : comme clinicien, psychanalyste, éditeur, auteur et fondateur d’une nouvelle historiographie en rupture avec la tradition hagiographique du milieu consistant à penser l’histoire sous la catégorie d’une transmission réduite aux hommages louangeurs des élèves envers leurs maîtres. Autant que Georges Lanteri-Laura (1930-2004) dont il était l’ami et le contemporain, il joua un rôle majeur dans ce domaine mais de façon plus militante et pragmatique. Il est mort chez lui, comme il le souhaitait, entouré de sa famille, le 25 novembre 2022.

Jacques Postel, le 10 Mars 2017, chez lui, photographié à sa demande devant les ouvrages d’E. Roudinesco
photo C. Fromentin
C’est à Nice qu’il poursuit ses études de médecine et à Lyon qu’il soutient sa thèse de médecine en 1955, avant d’être nommé chef de service à Esquirol, à Maison Blanche puis à l’hôpital Sainte-Anne (service des femmes, secteur 13, 1981-1995 puis 1996-2006). Il fut l’assistant de Daniel Lagache, fondateur des études de psychopathologie à la Sorbonne (1955) et de l’Association psychanalytique de France (APF, 1964) et restera ensuite professeur associé à l’Université de Paris VII : « Il a été mon meilleur professeur, un vrai érudit et très accueillant », dira Fethi Benslama qui a soutenu avec lui, en 1976, un mastère sur l’histoire de la psychiatrie coloniale.
Analysé par René Laforgue (qui avait ouvert en 1923 la première consultation psychanalytique dans le service d’Henri Claude à Sainte-Anne), puis en deuxième tranche par Lagache qui sera aussi son superviseur, Postel poursuit sa formation à l’APF qu’il quitte en 1975 avant d’entrer, un an plus tard, au comité de rédaction de la prestigieuse Evolution psychiatrique (EP, 1925) dirigée alors par le flamboyant Etienne Trillat (1919-1998), érudit et raffiné, passionné d’histoire et auteur d’ouvrages sur Mesmer et l’hystérie. Ce dernier avait été le successeur à ce poste de Henri Ey. En 1984, Postel devient à son tour rédacteur en chef de la revue avec Jaques Arveiler et François Caroli comme adjoints. Il y restera jusqu’en 1991. Sa femme Madeleine, psychiatre elle aussi, analysée par Didier Anzieu, et proche de René Diatkine, se consacrera à la psychanalyse des enfants.
En décembre 1969, Postel prend connaissance de la réunion organisée à Toulouse par Henri Ey et consacrée au livre de Michel Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique publiée en 1961 (rééd. Gallimard, 1972), lequel refuse l’invitation qui lui est faite. Ey souligne qu’il s’agit là d’une « position psychiatricide si lourde de conséquence pour l’idée même de l’homme que nous eussions beaucoup désiré la présence de Michel Foucault parmi nous. » (EP, t.1, fasc. II, p.226). Sans partager la position foucaldienne sur Philippe Pinel, Postel sait que ce livre apporte une révolution dans la manière de penser l’histoire de la discipline. Grand lecteur de l’ouvrage d’Henri Ellenberger, Histoire de la découverte de l’inconscient, paru pour la première fois en 1970 (et que j’ai réédité en 1994 chez Fayard), il décide de fonder avec Marcel Gauchet et Gladys Swain un séminaire d’histoire de la psychiatrie.
Celle-ci avait été son élève et c’est en reprenant ses thèses qu’elle publie, grâce à lui, chez Privat, à Toulouse, en 1977, une critique de l’œuvre foucaldienne en montrant que la psychiatrie moderne est née avec Philippe Pinel, non pas d’une geste de libération des fous, mais de l’attribution à l’aliéniste des pouvoirs exercés autrefois par les infirmiers : c’est l’infirmier Jean-Baptiste Pussin qui a « libéré » les fous de leur chaînes et non pas Pinel, médecin chef de l’hospice de Bicêtre. Quant au geste libérateur, il est donc un mythe fondateur fabriqué après-coup par J-E-Dominique Esquirol (G. Swain, Le sujet de la folie. Essor de la psychiatrie, rééd. 1997, Calmann-Lévy)
A cette date, Postel est convaincu à juste titre qu’il faut réunir, de la façon la plus éclectique possible, tous ceux qui tentent de penser l’histoire de la psychiatrie et de la psychanalyse avec un nouveau regard : « L’histoire de la psychiatrie souligne-t-il, est encombrée de panégyriques où la vérité est bien difficile à retrouver sous un fatras de documents remaniés, falsifiés, de ces répétitions de discours académiques et funéraires et d’inaugurations de monuments élevés à la gloire des piliers du pouvoir médical, tous « philanthropes et bienfaiteurs de l’humanité (…)Il est vrai que les meilleurs historiens récents n’ont pas été des psychiatres mais des épistémologues, des philosophes ou des sociologues comme François Dagognet, Foucault, Robert Castel » (« La psychiatrie et son histoire », EP, 40, fasc . II, 1975, pp. 447-458, à propos de Georges Mora, Springfield, 1970). Ce séminaire sera ensuite repris par son élève, François Bing et par Julien-Daniel Guelfi, puis par Clément Fromentin en 2020.
En 1981, Postel publie son grand livre, plusieurs fois réédité : Genèse de la psychiatrie. Les premiers écrits de Philippe Pinel (Le Sycomore, 1981). Il expose enfin ses positions, tant utilisées par d’autres et notamment par Swain. Il explique comment le « fondateur » a contribué lui-même à sa propre légende sur l’abolition des chaînes en effectuant une synthèse des idées en vigueur à son époque. Que reste-t-il alors du grand aliéniste ? Beaucoup de choses et surtout la notion moderne de continuum entre la norme et la pathologie, la folie étant la poursuite de la raison par d’autres moyens. A quoi s’ajoute le traitement moral. Selon Postel, qui s’appuie à la fois sur une étude précise des textes et sur une conception de l’histoire où se mêlent plusieurs approches, Pinel est donc bien le fondateur de la discipline psychiatrique en France car il invente, par ses observations, une représentation existentielle de la folie qui donnera lieu à l’art de diagnostiquer, de soigner, de classer, thèse reprise ensuite par l’historienne américaine Jan Goldstein dans Consoler et classifier. L’essor de la psychiatrie (Les empêcheurs de penser en rond, 1997).
Postel participera ensuite à de très nombreuses publications collectives et donnera un fantastique essor à l’Evolution psychiatrique, réunissant autour de lui, non seulement les plus brillants cliniciens, mais aussi tous les historiens de la médecine et de la psychiatrie : Michel et Danièle Gourevitch, Jacques Chazaud, Claude Quétel, Pierre Morel, Lanteri-Laura, Jean Garrabé, etc.
A cet effet, il crée chez Privat, à Toulouse, en 1972, la collection Rhadamanthe, qui lui permet de rééditer des classiques de la psychiatrie mais aussi de faire connaître des auteurs contemporains. A cette date, il songe même à rééditer la fameuse thèse de Jacques Lacan sur Marguerite Anzieu (le cas Aimée) De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité). Lacan refuse : « Vous pensez bien que dans le fait qu’elle n’ait pas reparu, je suis pour quelque chose » (lettre du 3 mars 1972) et il ajoute qu’il est sous contrat avec les éditions du Seuil et ne peut rien donner ailleurs, ce qui est exact. Finalement, c’est Catherine Clément qui obtiendra la première de publier un extrait de cette thèse dans la revue L’ARC (58, 1974), avant la publication au Seuil en 1975.
En 1982, Postel fonde, avec Claude Quétel et Michel Collée, la Société française d’histoire de la psychiatrie et de la psychanalyse et il me demande alors d’en faire partie : je venais de publier le premier volume de mon Histoire de la psychanalyse en France (1885-1939) qui avait reçu un accueil favorable chez les historiens et auprès de Georges Canguilhem et de Lanteri-Laura. Je devais déjà beaucoup à Postel qui m’avait orientée dans mes recherches à la bibliothèque médicale Henri Ey de Sainte-Anne (ouverte en 1967 dans de nouveaux locaux) et sur laquelle il veillera attentivement (1982-1995), comme l’avait fait Ey avant lui en la réorganisant de fond en comble : « En 2009, souligne Catherine Lavielle (responsable de la bibliothèque), lors du Congrès français de psychiatrie à Nice, tandis que nous dégustions des huîtres, son plat préféré, il m’a raconté joyeusement ses années de formation au lendemain de la Deuxième guerre. »
Quatre ans plus tard, en 1986, cette association devient Société internationale d’histoire de la psychiatrie et de la psychanalyse (SIHPP). Elle rassemble tous les spécialistes du domaine et héritera en 1990 des archives d’Ellenberger. En 1987, Postel quitte sa fonction de président et choisit pour le remplacer René Major, tout en demeurant très actif au bureau de la SIHPP, dont je suis devenue présidente à mon tour en 2007.
En 1983, avec Quétel et de nombreux collaborateurs, il fait paraître une Nouvelle histoire de la psychiatrie qui deviendra un classique. Postel sera de tous les colloques de la SIHPP, aussi bien en participant à celui consacré à Foucault, en présence de Jacques Derrida et de Georges Canguilhem, qu’en organisant avec d’autres plusieurs rencontres.
En 1990, il critique courageusement l’ouvrage de Max Lafont, L‘extermination douce, soutenu par son ami Lucien Bonnafé et par toute la presse, lequel affirme que le régime de Vichy aurait, à l’égal des nazis, et avec la complicité des aliénistes français, assassiné massivement 40.000 malades mentaux dans les asiles entre 1940 et 1945. Le gouvernement collaborationniste aurait donné l’ordre de les affamer, obéissant ainsi à une directive de Berlin. En réalité, ces malades mentaux n’ont pas été « exterminés » selon un plan génocidaire, comme en Allemagne, mais ils sont morts de faim et d’abandon dans les grands asiles, malgré les efforts des psychiatres qui ne parvenaient ni à les nourrir ni à les sauver. La nuance est de taille puisque Lafont accusait la quasi-totalité des psychiatres français de cette période d’avoir exterminé sciemment les fous. Aussitôt Henry Rousso réagit en soulignant qu’il s’agissait là d’une contre-vérité.
Soucieux de débattre avec tous les spécialistes, Postel co-organise à Dijon un colloque de la SIHPP sur le thème : Nuit et brouillard en psychiatrie ? Avec la participation des auteurs et de leurs contradicteurs, dont Claude Quétel. Cela était d’autant plus difficile que la thèse de l’extermination était soutenue politiquement par la gauche et par les représentants de la psychothérapie institutionnelle et que les opposants se situaient à droite. Postel refusait de transiger sur la vérité des faits, laquelle sera confirmée par Isabelle von Bueltzingsloewen dans un ouvrage magistral, L’Hécatombe des fous. La famine dans les hôpitaux psychiatriques français sous l’occupation (Aubier 2007). Elle y invalide toutes les thèses du prétendu génocide sans jamais oublier la souffrance des victimes. Et c’est au nom de la vérité historique, dans un contexte passionnel, qu’elle réussit à mener une enquête difficile sur ce sombre épisode : « L’enjeu n’est pas celui de la légitimité. Il est celui de la rigueur. Le devoir de mémoire n’a de sens que s’il est aussi un devoir de rigueur. »Elle sera insultée et traitée « d’allemande » par les partisans de Max Lafont. Cependant, au fil des années, le livre s’imposera à tous les historiens sérieux (Le Monde du 22 février 2007).
Durant les dernières années de sa vie, Postel restera présent sur la scène de l’historiographie psychiatrique en publiant plusieurs ouvrages, dont deux avec sa dernière compagne Jeannine Poitau. La plupart de ses textes et interventions ont été réunis dans Eléments pour une histoire de la psychiatrie occidentale (L’Harmattan, 2007) : « Cela nous rappelle, écrit Jacques Chazaud dans la préface, que Postel est toujours à l’écoute des autres disciplines que la sienne dont il ne fait pas une forteresse mais un champ ouvert aux critiques de tous ».
On ne saurait mieux dire.
Jacques Postel (1927-2022)
Né à Clermont-Ferrand le 1er janvier 1927, Jacques Postel était issu de la petite bourgeoisie provinciale : père dentiste et mère au foyer. Il a occupé une place originale dans l’ensemble du champ psychiatro-psychanalytique français : comme clinicien, psychanalyste, éditeur, auteur et fondateur d’une nouvelle historiographie en rupture avec la tradition hagiographique du milieu consistant à penser l’histoire sous la catégorie d’une transmission réduite aux hommages louangeurs des élèves envers leurs maîtres. Autant que Georges Lanteri-Laura (1930-2004) dont il était l’ami et le contemporain, il joua un rôle majeur dans ce domaine mais de façon plus militante et pragmatique. Il est mort chez lui, comme il le souhaitait, entouré de sa famille, le 25 novembre 2022.
C’est à Nice qu’il poursuit ses études de médecine et à Lyon qu’il soutient sa thèse de médecine en 1955, avant d’être nommé chef de service à Esquirol, à Maison Blanche puis à l’hôpital Sainte-Anne (service des femmes, secteur 13, 1981-1995 puis 1996-2006). Il fut l’assistant de Daniel Lagache, fondateur des études de psychopathologie à la Sorbonne (1955) et de l’Association psychanalytique de France (APF, 1964) et restera ensuite professeur associé à l’Université de Paris VII : « Il a été mon meilleur professeur, un vrai érudit et très accueillant », dira Fethi Benslama qui a soutenu avec lui, en 1976, un mastère sur l’histoire de la psychiatrie coloniale.
Analysé par René Laforgue (qui avait ouvert en 1923 la première consultation psychanalytique dans le service d’Henri Claude à Sainte-Anne), puis en deuxième tranche par Lagache qui sera aussi son superviseur, Postel poursuit sa formation à l’APF qu’il quitte en 1975 avant d’entrer, un an plus tard, au comité de rédaction de la prestigieuse Evolution psychiatrique (EP, 1925) dirigée alors par le flamboyant Etienne Trillat (1919-1998), érudit et raffiné, passionné d’histoire et auteur d’ouvrages sur Mesmer et l’hystérie. Ce dernier avait été le successeur à ce poste de Henri Ey. En 1984, Postel devient à son tour rédacteur en chef de la revue avec Jaques Arveiler et François Caroli comme adjoints. Il y restera jusqu’en 1991. Sa femme Madeleine, psychiatre elle aussi, analysée par Didier Anzieu, et proche de René Diatkine, se consacrera à la psychanalyse des enfants.
En décembre 1969, Postel prend connaissance de la réunion organisée à Toulouse par Henri Ey et consacrée au livre de Michel Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique publiée en 1961 (rééd. Gallimard, 1972), lequel refuse l’invitation qui lui est faite. Ey souligne qu’il s’agit là d’une « position psychiatricide si lourde de conséquence pour l’idée même de l’homme que nous eussions beaucoup désiré la présence de Michel Foucault parmi nous. » (EP, t.1, fasc. II, p.226). Sans partager la position foucaldienne sur Philippe Pinel, Postel sait que ce livre apporte une révolution dans la manière de penser l’histoire de la discipline. Grand lecteur de l’ouvrage d’Henri Ellenberger, Histoire de la découverte de l’inconscient, paru pour la première fois en 1970 (et que j’ai réédité en 1994 chez Fayard), il décide de fonder avec Marcel Gauchet et Gladys Swain un séminaire d’histoire de la psychiatrie.
Celle-ci avait été son élève et c’est en reprenant ses thèses qu’elle publie, grâce à lui, chez Privat, à Toulouse, en 1977, une critique de l’œuvre foucaldienne en montrant que la psychiatrie moderne est née avec Philippe Pinel, non pas d’une geste de libération des fous, mais de l’attribution à l’aliéniste des pouvoirs exercés autrefois par les infirmiers : c’est l’infirmier Jean-Baptiste Pussin qui a « libéré » les fous de leur chaînes et non pas Pinel, médecin chef de l’hospice de Bicêtre. Quant au geste libérateur, il est donc un mythe fondateur fabriqué après-coup par J-E-Dominique Esquirol (G. Swain, Le sujet de la folie. Essor de la psychiatrie, rééd. 1997, Calmann-Lévy)
A cette date, Postel est convaincu à juste titre qu’il faut réunir, de la façon la plus éclectique possible, tous ceux qui tentent de penser l’histoire de la psychiatrie et de la psychanalyse avec un nouveau regard : « L’histoire de la psychiatrie souligne-t-il, est encombrée de panégyriques où la vérité est bien difficile à retrouver sous un fatras de documents remaniés, falsifiés, de ces répétitions de discours académiques et funéraires et d’inaugurations de monuments élevés à la gloire des piliers du pouvoir médical, tous « philanthropes et bienfaiteurs de l’humanité (…)Il est vrai que les meilleurs historiens récents n’ont pas été des psychiatres mais des épistémologues, des philosophes ou des sociologues comme François Dagognet, Foucault, Robert Castel » (« La psychiatrie et son histoire », EP, 40, fasc . II, 1975, pp. 447-458, à propos de Georges Mora, Springfield, 1970). Ce séminaire sera ensuite repris par son élève, François Bing et par Julien-Daniel Guelfi, puis par Clément Fromentin en 2022-23.
En 1981, Postel publie son grand livre, plusieurs fois réédité : Genèse de la psychiatrie. Les premiers écrits de Philippe Pinel (Le Sycomore, 1981). Il expose enfin ses positions, tant utilisées par d’autres et notamment par Swain. Il explique comment le « fondateur » a contribué lui-même à sa propre légende sur l’abolition des chaînes en effectuant une synthèse des idées en vigueur à son époque. Que reste-t-il alors du grand aliéniste ? Beaucoup de choses et surtout la notion moderne de continuum entre la norme et la pathologie, la folie étant la poursuite de la raison par d’autres moyens. A quoi s’ajoute le traitement moral. Selon Postel, qui s’appuie à la fois sur une étude précise des textes et sur une conception de l’histoire où se mêlent plusieurs approches, Pinel est donc bien le fondateur de la discipline psychiatrique en France car il invente, par ses observations, une représentation existentielle de la folie qui donnera lieu à l’art de diagnostiquer, de soigner, de classer, thèse reprise ensuite par l’historienne américaine Jan Goldstein dans Consoler et classifier. L’essor de la psychiatrie (Les empêcheurs de penser en rond, 1997).
Postel participera ensuite à de très nombreuses publications collectives et donnera un fantastique essor à l’Evolution psychiatrique, réunissant autour de lui, non seulement les plus brillants cliniciens, mais aussi tous les historiens de la médecine et de la psychiatrie : Michel et Danièle Gourevitch, Jacques Chazaud, Claude Quétel, Pierre Morel, Lanteri-Laura, Jean Garrabé, etc.
A cet effet, il crée chez Privat, à Toulouse, en 1972, la collection Rhadamanthe, qui lui permet de rééditer des classiques de la psychiatrie mais aussi de faire connaître des auteurs contemporains. A cette date, il songe même à rééditer la fameuse thèse de Jacques Lacan sur Marguerite Anzieu (le cas Aimée) De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité). Lacan refuse : « Vous pensez bien que dans le fait qu’elle n’ait pas reparu, je suis pour quelque chose » (lettre du 3 mars 1972) et il ajoute qu’il est sous contrat avec les éditions du Seuil et ne peut rien donner ailleurs, ce qui est exact. Finalement, c’est Catherine Clément qui obtiendra la première de publier un extrait de cette thèse dans la revue L’ARC (58, 1974), avant la publication au Seuil en 1975.
En 1982, Postel fonde, avec Claude Quétel et Michel Collée, la Société française d’histoire de la psychiatrie et de la psychanalyse et il me demande alors d’en faire partie : je venais de publier le premier volume de mon Histoire de la psychanalyse en France (1885-1939) qui avait reçu un accueil favorable chez les historiens et auprès de Georges Canguilhem et de Lanteri-Laura. Je devais déjà beaucoup à Postel qui m’avait orientée dans mes recherches à la bibliothèque médicale Henri Ey de Sainte-Anne (ouverte en 1967 dans de nouveaux locaux) et sur laquelle il veillera attentivement (1982-1995), comme l’avait fait Ey avant lui en la réorganisant de fond en comble : « En 2009, souligne Catherine Lavielle (responsable de la bibliothèque), lors du Congrès français de psychiatrie à Nice, tandis que nous dégustions des huîtres, son plat préféré, il m’a raconté joyeusement ses années de formation au lendemain de la Deuxième guerre. »
Quatre ans plus tard, en 1986, cette association devient Société internationale d’histoire de la psychiatrie et de la psychanalyse (SIHPP). Elle rassemble tous les spécialistes du domaine et héritera en 1990 des archives d’Ellenberger. En 1987, Postel quitte sa fonction de président et choisit pour le remplacer René Major, tout en demeurant très actif au bureau de la SIHPP, dont je suis devenue présidente à mon tour en 2007.
En 1983, avec Quétel et de nombreux collaborateurs, il fait paraître une Nouvelle histoire de la psychiatrie qui deviendra un classique. Postel sera de tous les colloques de la SIHPP, aussi bien en participant à celui consacré à Foucault, en présence de Jacques Derrida et de Georges Canguilhem, qu’en organisant avec d’autres plusieurs rencontres.
En 1990, il critique courageusement l’ouvrage de Max Lafont, L‘extermination douce, soutenu par son ami Lucien Bonnafé et par toute la presse, lequel affirme que le régime de Vichy aurait, à l’égal des nazis, et avec la complicité des aliénistes français, assassiné massivement 40.000 malades mentaux dans les asiles entre 1940 et 1945. Le gouvernement collaborationniste aurait donné l’ordre de les affamer, obéissant ainsi à une directive de Berlin. En réalité, ces malades mentaux n’ont pas été « exterminés » selon un plan génocidaire, comme en Allemagne, mais ils sont morts de faim et d’abandon dans les grands asiles, malgré les efforts des psychiatres qui ne parvenaient ni à les nourrir ni à les sauver. La nuance est de taille puisque Lafont accusait la quasi-totalité des psychiatres français de cette période d’avoir exterminé sciemment les fous. Aussitôt Henry Rousso réagit en soulignant qu’il s’agissait là d’une contre-vérité.
Soucieux de débattre avec tous les spécialistes, Postel co-organise à Dijon un colloque de la SIHPP sur le thème : Nuit et brouillard en psychiatrie ? Avec la participation des auteurs et de leurs contradicteurs, dont Claude Quétel. Cela était d’autant plus difficile que la thèse de l’extermination était soutenue politiquement par la gauche et par les représentants de la psychothérapie institutionnelle et que les opposants se situaient à droite. Postel refusait de transiger sur la vérité des faits, laquelle sera confirmée par Isabelle von Bueltzingsloewen dans un ouvrage magistral, L’Hécatombe des fous. La famine dans les hôpitaux psychiatriques français sous l’occupation (Aubier 2007). Elle y invalide toutes les thèses du prétendu génocide sans jamais oublier la souffrance des victimes. Et c’est au nom de la vérité historique, dans un contexte passionnel, qu’elle réussit à mener une enquête difficile sur ce sombre épisode : « L’enjeu n’est pas celui de la légitimité. Il est celui de la rigueur. Le devoir de mémoire n’a de sens que s’il est aussi un devoir de rigueur. »Elle sera insultée et traitée « d’allemande » par les partisans de Max Lafont. Cependant, au fil des années, le livre s’imposera à tous les historiens sérieux (Le Monde du 22 février 2007).
Durant les dernières années de sa vie, Postel restera présent sur la scène de l’historiographie psychiatrique en publiant plusieurs ouvrages, dont deux avec sa dernière compagne Jeannine Poitau. La plupart de ses textes et interventions ont été réunis dans Eléments pour une histoire de la psychiatrie occidentale (L’Harmattan, 2007) : « Cela nous rappelle, écrit Jacques Chazaud dans la préface, que Postel est toujours à l’écoute des autres disciplines que la sienne dont il ne fait pas une forteresse mais un champ ouvert aux critiques de tous ».
On ne saurait mieux dire.
Ce texte a été initialement publié dans le bulletin de la SIHPP du 28 novembre 2022