Douleurs des écrivains, guérisons des lecteurs

Ce que la littérature apporte à la santé psychique

Deadline soumissions 5 mars 2026 

Coordonnateur : yann.auxemery@hotmail.fr

Soumissions sur le site de notre éditeur

Instructions aux auteurs :  https://www.em-consulte.com/revue/EVOPSY/presentation/l-evolution-psychiatrique

Une patiente à qui, un jour, nous reproposions un antidépresseur, nous répondit : « Docteur, c’est gentil mais mon armoire à pharmacie c’est ma bibliothèque, j’ai un livre pour chacune de mes douleurs ».

Ayant pour intérêt l’exploration de la nature humaine, souvent en souffrance, en quête, la littérature et la psychiatrie sont deux disciplines voisines. Mais le médecin ne fait plus guère ses humanités et le littérateur s’est éloigné, quelque peu, de la science. Or les possibilités offertes par nos sociétés contemporaines, notamment grâce aux analyses portées par les intelligences artificielles, nous invitent à une réunion des espaces littéraires et cliniques afin d’enrichir notre perception des troubles de l’esprit, de leurs traitements.

Du côté du symptôme, nombreux sont les écrivains qui ont créé des personnages dont les tableaux cliniques, les fines descriptions rendent vivantes, permettent d’approcher les organisations psychiques sur le modèle de la médecine expérientielle. Emma Bovary incarne l’histrionisme de son époque, Mersault la dépressivité chronique, Nana la personnalité borderline, Bel Ami l’arriviste, Grenouille le sociopathe, Adèle H le délire érotomaniaque, Ferdinand le traumatisé de la grande guerre, Guillaume et Marie les « indéfinissables »… L’analyse psychologique demeure, pour une majorité d’œuvres, consubstantielle à l’existence des personnages, identifications pour le lecteur, réincarnations des auteurs. Si ces derniers écrivent le plus souvent pour se soigner, leurs textes prennent plutôt la forme de leurs tourments que d’une émancipation : Antonin Artaud à ses phrases schizophréniformes, Marcel Proust à ses obsessions à rallonges, Céline à ses délires infinis. Ce sont parfois même les courants littéraires dans leur entièreté qui sont emprunts de psychologie : les écrivains naturalistes cherchent la vérité des êtres grâce à la médecine expérimentale, les drilles surréalistes déploient leurs associations libres sous psychédéliques, le nouveau roman explore les perceptions et mémoires fragmentées, jusqu’à la « littérature de l’inquiétude et du chaos » (dont les chefs de file pourraient être Darrieussecq et Houellebecq). Le symptôme reste tenace telle en témoigne la « littérature traumatique » qui s’est considérablement densifiée au cours de notre dernière décennie, parallèlement à l’évolution des connaissances en psychotraumatologie.

Très récemment, c’est-à-dire depuis deux ans, de nouveaux logiciels d’analyse du langage sont apparus avec des propriétés fulgurantes, cette capacité, en quelques secondes, voire même en temps réel, à modéliser quelques centaines de composantes de notre langage et de les comparer à d’immenses corpus. Grâce à ces nouveaux traitements automatiques des langues, dopés par les intelligences artificielles, nous constatons que les récits des patients, mais aussi des écrivains, traduisent, formellement, les souffrances psychiques ou neuropsychiques qu’ils présentent, qu’ils tentent de surpasser. Le retour à une meilleure agentivité, l’appui sur les marques pronominales, l’utilisation des lignes de force de la métaphore, semblent autant d’outils visant à dépasser les affres de l’existence. Mais comment différencier ce que les âges ont retenu comme des chefs-d’œuvre et, les romans contemporains « feel good », ou les discours échangés avec un voisin, sa boulangère, son aumônier, un charlatan efficace, ou un psychothérapeute ? Quels sont précisément les mots, les phrases, les histoires qui nous font du bien ? La linguistique contemporaine apparaît en passe de densifier ce lien entre littérature et souffrances de l’esprit, vers l’apaisement. Ce que l’on nomme communément « psychothérapie » résulte de la mobilisation de nos réseaux de représentations par l’entremise de leurs sollicitations lexicales, syntaxiques et pragmatiques.

Nous appelons, pour composer ce numéro spécial, les contributions issues des thérapies narratives, du traitement automatique du langage, des ateliers d’écritures, de la médecine expérientielle, de l’analyse du discours spécialisé en tant que métadiscours, des multiples cadres d’expressions discursifs source de diversité des approches, etc. Ne s’agirait-il pas, finalement, de raconter des histoires ?

Révisons nos classiques et témoignons intérêt pour de nouvelles expériences stylistiques !