Une lecture de ses « Mémoires et réminiscences. Itinéraires d’un psychiatre dans le monde » par Patrice Belzeaux.
Bibliothèque Henri Ey – Ste Anne – Le 19 mai 2025

« J’ai été surpris d’apprendre… », « A mon grand étonnement, il ne savait pas que… », c’est par ces phrases que les Mémoires et Réminiscences de Jean GARRABE nous indiquent les moments clés de son parcours de savant. Une fraîcheur toujours intacte qui s’étonne de telle rencontre insolite entre deux courants de pensée, du cheminement d’une pensée ou d’un travail à travers les différentes cultures, des opportunités qui se présentent et ouvrent à des horizons nouveaux. La curiosité toujours en éveil de l’érudit et du bibliophile mais aussi la marque de l’intrigue que creuse le paradoxe, l’inattendu, la surprise, l’accident : il avait une disposition d’esprit proche des surréalistes explorant l’inconscient dans l’automatisme, ses travaux en témoignent. Il en jouait d’ailleurs assez malicieusement. Mais au fond, l’étonnement est à la base de la connaissance et de la culture. Le fait était déjà décrit par ARISTOTE pour lequel l’étonnement est à la base de la philosophie (Métaphysique 1,2,982b). Et les psychiatres psychanalystes ou phénoménologues dans leur écoute de l’ouvert, ont adopté depuis FREUD la
surprise et l’étonnement comme garantes de leur bonne pratique. C’est pourquoi, j’ai trouvé bienvenu que la revue l’Evolution psychiatrique dont Jean GARRABE fut à son tour le Secrétaire général et le Président ait adopté une rubrique sous le titre de « Clinique de l’étonnement ».
Peut-être y a-t-il été pour quelque chose ?
Nous allons donc aller dans notre lecture de ces Mémoires et Réminiscences de surprises en étonnements.
Le premier étonnement qu’il relate, remonte à son enfance : ce fut celui de son père, travaillant à Puerto Real près de Cadix dans une briqueterie, qui ne put que constater « qu’aucun ouvrier ne venait travailler les jours de pluie, ce qui semblait être tout à fait naturel dans cette région d’Andalousie »…(p.29) J’ai moi-même rencontré une histoire similaire de pluie en Andalousie au travers d’une analysante qui me racontait avec amusement que son grand-père tenait fièrement une boutique de confection et réparation de parapluie à Cordou… Lui ne travaillait que les jours de pluie, mais la pluie étant exceptionnelle en Andalousie, cela faisait sans doute de l’homme aux parapluies, un homme exceptionnel !
Ces souvenirs d’un inattendu vont se retrouver tout au long de la vie de J. GARRABE. Il faut dire qu’il s’en délecte. Dans ses Mémoires et Réminiscences, il relate maintes et maintes fois la surprise qui survient dans telle ou telle situation.
Évidemment, son parfait bilinguisme (1) en surprenait plus d’un, et ainsi il cite le passage « d’un groupe de médecins de l’hôpital psychiatrique d’Oviedo, capitale des Asturies, province du Nord de l’Espagne qui souhaitaient moderniser cet établissement venus visiter, à Neuilly-sur- Marne, le Centre de Traitement et de Réadaptation Sociale de l’hôpital de Ville-Evrard dont ils souhaitaient s’inspirer, et qui furent très étonnés d’y trouver en ma personne un médecin français qui parlait couramment le castillan et qui a pu ainsi répondre à toutes les questions qu’ils se posaient sur la psychothérapie institutionnelle… ». (p.58). On apprend en effet dans ses Mémoires comment il fut formé par Hélène CHAIGNEAU à jouer un rôle dans ce courant dont il nous rappelle qu’il a pris sa source dans la grande œuvre de l’instauration de l’Assurance Maladie après la Deuxième Guerre mondiale et la mise en place des 4 Centres de Traitement et de Réadaptation Sociale, les CTRS, deux pour le département de la Seine dont Ville Evrard où il officiait pour les hommes et Villejuif pour les femmes où officiait LE GUILLANT et deux en province dont celui de Bonneval en Eure et Loir avec HENRI EY pour les Femmes et Saint Alban
en Lozère pour les Hommes avec François TOSQUELLES. Que Jean GARRABE ait été le traducteur et le passeur de la psychothérapie institutionnelle de la France en Espagne, d’une langue dans une autre est assez remarquable et vaut bien notre étonnement à nous… Enfin pas toute l’Espagne, car pour la catalogne F. TOSQUELLES avait déjà commencé son œuvre à Reus.
Mais Oviedo sera le centre d’une amicale collaboration professionnelle avec colloques et congrès, et le point de départ de la diffusion pour les pays de langues espagnoles de son œuvre sous la forme d’une belle publication des travaux de Jean, originalement en espagnol, sous le titre Disertaciones sobre psiquiatría, parus en 2011 grâce à l’amitié et au travail de Julio BOBES et Teresa BASCARAN.
Il arrivait parfois – et il ne s’en servait jamais comme point de départ d’une moquerie ou d’un dénigrement – qu’il fût surpris par l’absence de connaissance, a priori élémentaire, de ceux qu’il rencontrait. Ainsi, dit-il, « lors de ce congrès mondial d’Athènes, nous avons, avec Vassili KAPSAMBELIS, fait une communication sur Henri Ey au Symposium de la section d’histoire de la psychiatrie de la WPA qui était présidé par un collègue nord-américain qui nous demanda qui était ce psychiatre français qu’il ne connaissait pas et qui fut fort étonné d’apprendre que c’est grâce à lui qu’a été fondé en 1950 l’Association Mondiale de psychiatrie, ce qu’il ignorait… » (p.133).
A cette occasion rappelons que Jean GARRABE, à partir du IV° Congrès Mondial de Madrid de 1966 – le dernier où HENRI EY était encore Secrétaire Général de la mondiale depuis le Congrès International de Paris en 1950 –, son premier et très important congrès puisqu’en compagnie d’HELENE CHAIGNEAU, il y rencontra PAUL SIVADON, « Monsieur SIVADON », qui décida de sa carrière à l’Institut Marcel Rivière, rappelons donc qu’il nous dit qu’il a assisté à 11 sur 17 Congrès Mondiaux, sauf le plus récent de Berlin, en 2017, où trop fatigué il ne se rendit pas, ce qui lui fit parcourir la planète entière et même, lui fit faire, une année, un tour du monde en avion – du Congrès Mondial d’Honolulu en 1977, celui qui a enfin condamné l’utilisation de la psychiatrie à des fins politiques en URSS (question soulevée par H. EY au précédent congrès de 1971 à Mexico), à une première visite en touriste du Japon, et ne pouvant survoler le territoire russe il a atterri à Anchorage (Alaska, USA) avant l’Europe et Paris… sacrée performance !
Cette régularité de fréquentation a, bien entendu, favorisé les échanges internationaux et culturels surtout entre pays de langue française et espagnole mais aussi France/Japon grâce aux Prs P. PICHOT et J.Fr. ALLILAIRE mais aussi au Dr Hervé BENHAMOU qui a organisé nombre de voyages au Japon, mais aussi en Sibérie pour comparer les pratiques des psychothérapies occidentales aux pratiques des Chamans de Oulan-Oudé, coexistant avec le bouddhisme et l’orthodoxie, située près du lac Baïkal dont il est remarquable aujourd’hui de noter que, grand comme la Belgique et le plus profond du monde, il est la plus grande réserve d’eau douce du monde…(p.241) et fait encore plus surprenant que la haute société des femmes en exil y tenait salon en français… En tant que père et grand-père du plus grand nombre d’enfants et petits-enfants, Jean avait été invité à revêtir la tenue du Chaman pour un étrange rituel à la grande surprise des médecins psychiatres du lieu. Je ne sais s’il a fait une publication sur ces
possibilités de guérison dans cette contrée éloignée, pays d’origine de la famille lointaine de BORIS CYRULNIK dont il semble dire qu’il faisait partie du voyage…Quant-au Japon, pour lequel Jean dirigea un n° spécial de L’Evol psy en 1984, Jean y alla sans doute 4 ou 5 fois, de découvertes merveilleuses en découvertes merveilleuses. Il assista, au Japon aussi, à une démonstration avec A. GREEN de Thérapie de Morita pour laquelle je constate qu’elle n’a pas été effacée par l’Ikikomori dont MANUELA DE LUCA a fait la transmission en 2023 à Guadalajara au Mexique à l’invitation du Pr Sergio VILASEÑOR BAYARDO , élève de Jean, et qu’elle est toujours étudiée et questionnée si l’on en croit le programme de la prochaine rencontre Franco- japonaise qui doit se tenir au Japon dans quelques semaines.
Les Congrès mondiaux se tenaient plus ou moins tous les quatre, cinq ans, ce qui permettait de
reprendre son souffle avant de repartir, mais Jean, finalement, nous avoue sa « surprise » car lors du congrès de Berlin « a été prise la décision, qui je l’avoue m’a surpris, d’organiser dorénavant une telle manifestation tous les ans. Je ne comprends pas comment il est possible de la faire avec une aussi grande fréquence, à moins que l’on pense qu’il est souhaitable que ces Congrès mondiaux de psychiatrie réduisent la voilure et réunissent beaucoup moins de participants que ceux quinquennaux, par exemple lors du congrès de Buenos Aires en 2011… » (p.255).
En effet, après Yokohama en 2002 où Jean avait entraïné ses amis de l’Association pour la Fondation Henri Ey de Perpignan dans un Symposium Henri Ey mémorable qui permit la rencontre avec le plus ancien des psychiatres japonais le vénérable Pr AKIMOTO (qui était centenaire) venu nous saluer, symposium qui se tenait fort heureusement en français avec traduction simultanée, nous fûmes à Buenos Aires en 2011 sous sa présidence dans un congrès mondial « de folie » par l’enthousiasme et la foule dense des psychiatres latinos qui s’y pressaient. Son ami, German BERRIOS qui a eu la gentillesse de préfacer ses Mémoires et Réminiscences, y reçu la médaille de Dr Honoris causa des mains de JUAN CARLOS STAGNARO qui présidait ce congrès. German BERRIOS avait donné un exposé de ses recherches et du groupe de Cambridge sur l’épistémologie en psychiatrie. J’étais assis à côté de Jean dans une salle
comble où beaucoup étaient debout ou assis par terre, German BERRIOS s’exprimait couramment en espagnol sa langue natale puisqu’il est originaire du Pérou, mais écrivait simultanément en anglais au tableau (ou l’inverse). Jean me confia à l’oreille : s’exprimer dans une langue et en écrire une autre, « ça, je ne peux pas le faire… ». Dans mes recherches je n’ai pas trouvé de références rendant compte de la neurophysiologie d’un tel cas…
De Chaman dans la région du Lac Baïkal à l’extrême Est de l’ancienne URRS qui a accueilli plusieurs fois le Dalaï Lama, à assistant de la thérapie de Morita au Japon, Jean ne reculait pas devant les expériences transculturelles lointaines, d’autant qu’il avait aussi participé sous l’égide de la Mondiale à un N’Doep dans la région de Dakar en compagnie d’une de ses élèves, la fille du Pr COLLOMB qui l’avait fait connaître, sans oublier qu’il encouragea et préfaça la thèse de Sergio VILLASEÑOR BAYARDO sur la médecine des indiens de la communauté Nahua du Guerrero au Mexique. Sergio qui a présidé de 2015-2018 la branche ethnopsychiatrie, on dit maintenant « culturelle », de la Mondiale.
De cette expérience transculturelle, Jean GARRABE, en avait tiré une philosophie, à moins que ce ne fut cette philosophie qui le conduisit à dessiner ses itinéraires d’un psychiatre dans le monde. Il ne s’agissait pas pour lui simplement de s’enrichir ou d’enrichir sa pratique en puisant ça ou là des méthodes nouvelles, mais de découvrir les variétés surprenantes de démarches originales que tels peuples dans telles cultures ont élaborées au fils des siècles pour accepter et intégrer et soigner la folie. Sans doute l’essentiel tient dans la confirmation qu’il nous faut avoir l’esprit ouvert, ouvert sur les pratiques et ouvert sur les cultures et la connaissance que l’on peut en avoir. Cet ouvrage moins précis que l’article d’histoire des échanges entre la psychiatrie française et l’Amérique latine (Info psy 2019/9 Vol.95 pp.757-769) mais beaucoup plus large, est la démonstration de cette ouverture où la religion, l’art, la littérature, la musique ont leur place dans les réseaux de la mémoire. Il n’y a pas de remède plus efficace contre les passions idéologiques. Ce qui ne l’empêcha pas de prendre position pour l’Histoire, pour Henri EY, contre l’utilisation du DSM à des fins pédagogiques, contre l’idéologie foucaldienne de
L’Histoire de la folie à l’âge classique dont il a montré aisément qu’elle est historiquement biaisée car truffée d’erreurs flagrantes de références et de dates… C’est d’ailleurs en vérifiant les références utilisées par M. FOUCAULT qu’il découvre que des propos sur les symptômes, les signes, désignant les signifiants et les signifiés occultes de la maladie que le texte de M. FOUCAULT laisse entendre comme étant de lui en omettant les guillemets, que ces propos sont en fait du Sieur Jacob Augustin LANDRE BEAUVAIS, assistant puis successeur de Ph. PINEL à la Salpêtrière ayant pour collègue le célèbre E. ESQUIROL. En effet, dans son ouvrage de « Sémiotique ou Traité des Signes des maladies » de 1809, LANDRE BEAUVAIS permet à Jean GARRABE non seulement de redresser les propos de M. FOUCAULT, car en 1809 on parlait déjà de façon très moderne de signifiant et de signifié, mais aussi de souligner à son ami, le regretté Georges LANTERI LAURA qu’au temps synthétique du paradigme de l’aliénation mentale, il y avait aussi en France des auteurs qui approfondissaient dès cette époque, la question analytique
de la sémiotique sans attendre l’émergence de l’École de Paris avec ses correspondances anatomo-cliniques. Je peux témoigner qu’il en était assez fier ! Pour terminer faisons un tour par la mémoire de l’art, la musique et la peinture « J’ai l’impression, en donnant ces références à des œuvres de musique espagnole, ou d’inspiration espagnole, que je suis en train de sonoriser mes mémoires » (p.23) s’exclame Jean GARRABE qui se surprend à dévoiler la longue histoire familiale qui le relie à la musique. À commencer par sa camarade du lycée français de Madrid Janine BOUCHER DE ESPAÑOL enseignant toujours le chant à la Escuela de canto Reina Sofia à Madrid. Jean ne peut pas ne pas souligner que l’opéra le plus joué dans le monde Carmen de Georges BIZET inspiré de la nouvelle de Prosper MERIMEE, est l’oeuvre d’un auteur qui n’a jamais mis les pieds en Espagne mais qui a composé très prosaïquement son opéra-comique à Bougival dans une maison qui a été récemment restaurée, non loin de celle de María Felicia GARCIA, la célèbre MALIBRAN (1808-1836)… Jean ajoute pince-sans-rire : « Nous pourrons bientôt faire des pèlerinages musico-andalous dans les Yvelines, département où j’ai fait la quasi-totalité de ma carrière de psychiatre… » (p23). Jean ne ratera non plus l’occasion de citer MANUEL DE FALLA, ami de sa tante Lula, qui composa en 1923 El Retablo de maese Pedro directement inspiré d’un épisode de Don Quichotte de Mancha. Et de souligner par des associations dont il a le secret que le compositeur est mort en 46 en Argentine à Alta Gracia, citée originaire d’Eduardo MAHIEU… La tante Lula était aussi très proche du musicien JOAQUIN RODRIGO (1901-1989) qui Composa le célèbre entre tous Concerto d’Ajanruez… Dans ce contexte, le jeune Jean avec son ami
Gonzalo Moya, ne ratait pas l’occasion d’aller écouter des chanteurs au Théâtre de la Zarzuela, passage obligé des grands chanteurs d’opéra à Madrid…
Mais c’est lors des Congrès nationaux ou mondiaux de psychiatrie que Jean ne ratait pas l’occasion de rendre une place à l’opéra… Nous eûmes l’émotion de partager avec Jean lors du Congrès Mondial de Buenos Aires en 2011 la visite du célèbre entre tous Théâtre Colón qui avait accueilli en son temps la grande SARAH BERNHARDT (1844-1923) et peu après mon bisaïeul avec la troupe de l’Odéon dans le rôle-titre de Chanteclair d’Ed. ROSTAND. Nous y avions pris des places le soir pour une représentation
du Lohengrin de WAGNER dont il faut bien dire que le plus extraordinaire fut l’entracte au foyer où se pressaient les honorables argentines couvertes des bijoux d’une ancienne fortune, ce qui nous réveilla malgré le décalage horaire pour le reste de la soirée.
Après avoir souligné que les neuro-psychiatres russes longtemps au début du XX° siècle ont préféré publier leurs travaux dans les AMP en France (pour échapper à la censure), ce qui fut le cas de Vladimir SERBSKY en 1903-1904, Jean raconte « qu’il avait été très étonné qu’au Kirov de St Petersbourg (Théâtre Mariinsky) à une soirée donnée en l’honneur de TCHAÏKOVSKI, sans doute pour commémorer le centenaire de sa mort en 1893, que le président GORBATCHEV soit présent dans une loge d’avant-scène sans apparemment aucune surveillance particulière … ». On y donnait le ballet de La Belle au Bois dormant, et il se trouvait à côté d’un spectateur russe « parlant parfaitement français » « très informé des interprètes et du chef d’orchestre ». Il tenait à la main, nous raconte Jean GARRABE, « le Livre de Jade de JUDITH GAUTHIER dans une édition d’époque ». Le voisin russe « fut très étonné d’apprendre que ce texte avait inspiré une oeuvre à Gustav MALHER qu’il ne connaissait pas parce qu’interdit en URSS… ». Dans ce très court passage on trouve toute l’érudition disponible de Jean GARRABE : « Edition d’époque » pour bibliophile (sans doute la première en 1867) du Livre de Jade qui avait fait couler beaucoup d’encre car une partie des poèmes présentés comme des traductions d’anciens poèmes chinois sont, en fait, des créations de Judith GAUTIER (1845-1917) fille de Théophile GAUTIER et égérie
des Poètes de BAUDELAIRE à VERLAINE et CATULLE MENDES qui fut un temps son mari.
Ajoutons qu’elle fut la première femme élue à l’Académie Goncourt en 1910 contre, excusez du peu, Paul CLAUDEL… Il est tout à fait vrai que Gustav MAHLER prend le Livre de Jade pour support du Chant de la Terre, mais elle n’est pas seule dans cet office : le Marquis HERVEY DE ST DENIS, bien connu des psychiatres depuis FREUD et L’Interprétation des rêves, était avant tout sinologue et avait traduit, lui aussi, beaucoup de poèmes chinois de l’époque Thang (VII°, VIII°, IX°), poèmes dont Judith GAUTIER s’inspira et qui vont nourrir l’œuvre de Gustav MAHLER… De même que la musique, la peinture est très présente dans les Mémoires de Jean GARRABE. Vous savez qu’il nous entraîna avec notre ami historien Jean-Christophe COFFIN dans une promenade à la Salpêtrière voir et commenter le grand tableau de Tony ROBERT FLEURY représentant Ph. PINEL libérant les femmes aliénées de leurs chaines, moment propice à une photo qui a fait la couverture du N° spécial d’hommage à Jean GARRABE des Cahiers Henri Ey de 2021. La couverture du présent ouvrage vient d’une photo prise le même jour de novembre 2014 de la statue de Ph. PINEL ornant l’entrée de la Salpêtrière. Nous nous souvenons avoir visité avec lui lors du XIV° Congrès Mondial de Psychiatrie de Madrid en 2014, l’exposition au Musée du Prado sur Le Greco et la peinture moderne, lors du tricentenaire de sa mort, (le GRECO né en Crète (1541) et mort à Tolède (1614) après avoir beaucoup appris à Venise (Le TITIEN, Le TINTORET, VERONESE…)). Le GRECO, qui fut redécouvert par Théophile GAUTIER lui-même… Le seul peintre du XVI° siècle, célébré par les surréalistes, a été l’objet d’une abondante littérature, écrit Jean, s’intéressant à l’extravagance et au maniérisme extrême de ses toiles, aux personnages étirés et déformés inspirant beaucoup PICASSO et « posant la question des rapports du génie et de la folie ». Nous nous souvenons et il écrit qu’il s’était arrêté devant La muerte de Laocoon venu pour l’exposition de la National Gallery de Londres. La signification de l’œuvre est énigmatique, car au fond, c’est Tolède et non Troie comme dans le mythe, qui brûle sous un ciel très tourmenté pendant que Laocoon, grand prêtre d’Appolon et ses deux fils sont étouffés par des serpents géants, punis de s’être opposés à la ruse du cheval de Troie. Jean s’arrête sur ce paradoxe : « le GRECO représente donc ainsi la ville espagnole où il avait trouvé refuge dans son exil, Tolède, incendiée par des armées venues comme lui de Grèce ». (p.225) Ajoutons au commentaire de Jean que le peintre grec est venu non seulement se réfugier à Tolède mais aussi à notre sens, conquérir Tolède. Et Tolède ferait bien de se prémunir contre ce grec chargé de toiles extraordinaires : « Timeo Danaos et dona Ferentes » (je crains les grecs, même chargés de présents). Il n’est pas impossible que Jean aurait pris ce tableau en illustration d’un article sur les peurs que suscitent les migrants, même chargés de bonnes intentions.
Le dernier mot reviendra au Don Quichotte de CERVANTES, figure de la folie que Jean GARRABE a associée à ERASME (Éloge de la folie) dans une publication. C’est le « chevalier errant » dont il est abondamment question dans cet ouvrage. Sa légende est tellement forte, nous dit Jean GARRABE, que les gens ont fini par croire qu’il avait réellement existé : il existe des tours operators dans la Mancha qui vous font déjeuner dans l’auberge où le chevalier s’est arrêté, le moulin qu’il a combattu… et son véritable plat à barbe pour casque (Armet) invincible de Mambrino. (p.222). A ce propos, c’est au peintre Gérard GAROUSTE qu’il pense dans son tableau L’Armet de Mambrino déposé au Centre Pompidou. Jean GARRABE recommande pour tout psychiatre, la lecture du récit autobiographique de Gérard GAROUSTE et Judith PERRIGNON : L’intranquille. Autoportrait d’un fils, d’un peintre, d’un fou, qui explore les connections entre le trouble bipolaire dont il souffre et sa production picturale. J’ajouterais qu’il est sorti en 2021 un film du même nom, Les Intranquilles de Joachim LAFOSSE traitant de façon remarquable du même sujet, avec dans le rôle du peintre et de son épouse, un Damien BONNARD bipolaire et une Leila BEKHTI hyperanxieuse, très justes et très inspirés (tous deux, nommés au César du
meilleur acteur et meilleure actrice 2022) …
Gageons que nous ne pourrons aller au Prado, au Kirov, au Teatro Colón, au Teatro de la Zarzuela, ni voir un GRECO, un GOYA, ni lire Don Quichotte ou Le livre de Jade, ni assister à L’Illusion comique de CORNEILLE ou à son Cid sans penser à CALDERON de la BARCA et à TIRSO de MOLINA et à la présence réelle, malicieuse, à nos côtés de Juan Manuel GARRABE DE LARA.
Je vous remercie,
PB
(1) Ce fut pour un Congrès sur le Bilinguisme qu’il fit à l’invitation de son condisciple du lycée français de Madrid, Gonzalo MOYA, devenu neurologue, sa première intervention scientifique hors de France. (p.26)
