par Eduardo Mahieu, psychiatre – Bibliothèque Henri Ey – Ste Anne – Le 19 mai 2025

Je commence par ce qu’écrit le préfacier du Récit autobiographique d’un grand psychiatre français du siècle dernier : « Lorsque nous l’entendions évoquer ses souvenirs depuis les événements vécus dans son enfance qui ont pu susciter sa vocation de psychiatre, jusqu’à ceux dont nous étions nous mêmes les témoins […], en passant par les études de médecine, la découverte de l’asile d’aliénés ou la révolution psychiatrique des années 50, et que nous exprimions la crainte que cette mémoire ne soit perdue à jamais, il nous répondait qu’il aurait le temps d’écrire ses mémoires lorsqu’il serait en retraite. Ce n’est cependant qu’à l’extreme fin de sa vie, alors qu’il était rétiré au Mas-d’Azil, et en réponse à une sollicitation de l’éditeur Georges Hahn, qu’il rédigea ces pages. La maladie ne lui ayant pas laissé le temps de donner leur forme définitive, c’est notre jeune collègue, le docteur Vincent Camus de Toulouse, qui se chargea et assuma la tâche délicate de faire une lecture attentive selon les indications de l’auteur […].
Le livre se compose de deux parties : à la première, consacrée aux souvenirs de l’enfance et les débuts de la vie professionnelle, répond – par un effet de symétrie comparable à celui obtenu par la pliure de taches d’encre des planche du test de Rorschach – une seconde partie consacrée aux réflexions théoriques inspirées, dans la deuxième partie de l’existence, par leur réminiscence. […]
Lors de la relecture du texte de notre maître qu’il nous a demandé de faire notre collègue et ami […], nous ne nous sommes permis d’apporter aucune modification de fond », mis à part l’ajout de notes et un annexe bibliographique.
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Certains d’entre vous connaissent peut-être ce texte, qui se présente à nous ce soir comme une étrange version de l’Eternel retour de Nietzsche… Car c’est Jean Garrabé qui écrit en 1993 la préface de l’ouvrage posthume de celui qui a beaucoup compté dans sa vie, le psychiatre Paul Sivadon, né en 1907 et mort en 1992 [Paul Sivadon, Psychiatries et sociétés, Récit autobiographique & réflexions théoriques d’un psychiatre français. Préface de Jean Garrabé, Erès, 1993]. L’effet de mise en abîme que ce texte produit pour notre réunion est saississant :
– D’abord nous avons l’édition d’un récit autobiographique d’un psychiatre, publié de manière posthume ;
– Puis, ceci entraîne que des proches doivent s’affairer pour donner une forme finale à ce qui n’était qu’un travail en cours, un work in progress comme disent les anglophones ;
– Et puis, nous avons même jusqu’à l’évocation de l’idée de reminiscence.
Car, comme toujours, les choix de termes par Jean sont précis et précieux, là où son objet l’est moins. C’est une perle que de le voir logé dans cette préface aussi bien que dans le titre de son propre ouvrage posthume. Alors disons deux mots du mot : rapellons que cette notion peut être entendue de différentes façons et en même temps proches les unes des autres :
* Nous avons à l’Antique : pour Platon, le plus mystique, ce serait le souvenir d’une connaissance acquise dans une vie antérieure, quand l’âme, qui vivait dans le monde supra-sensible des essences, contemplait les Idées ; alors que pour Aristote, plus terrien, comme dans le tableau l’Ecole d’Athènes de Raphaël, ce ne serait que la faculté de rappeler volontairement les souvenirs.
* Ou alors, celle plus moderne qui la définit comme le retour à la conscience d’une image, d’une impression si faibles ou si effacées qu’à peine est-il possible d’en reconnaître les traces.
Nous avons l’intuition que, chez Jean, l’utilisation du mot peu apparaître alors comme une ruse, comme pour nous avertir que peut-être « no están todos los que son, ni son todos los que están », comme il s’amusait à répéter cette phrase que l’on retrouve à l’entrée d’un manicome célèbre où l’on a conduit Don Quichotte pour le soigner de sa folie (la devise est de traduction très difficile, mais Jean propose une version dans ses Mémoires : « tous ceux qui sont fous ne se trouvent pas ici et tous ceux qui s’y trouvent ne sont pas fous »). Dans la parabole que nous tentons, il faut remplacer « fous » par « souvenirs », pour éclairer notre visée. Nous reviendrons plus loin.
Disons aussi que nous comprenons à la lecture de cette préface le profit qu’il a pu tirer près un quart de siècle après pour répondre au projet qui lui est proposé par Federico Ossola. Sans aller plus loin, avec cette première partie très biographique irradiant des réminiscences sur les autres parties de son ouvrage, (qui d’ailleurs ne sont pas tout à fait superposables au Récit de Sivadon). Enfin, nous pourrions multiplier les exemples, mais laissons-nous un ou deux détails pour la suite.
Les Cercles d’études psychiatriques Henri Ey
Revenons alors sur des questions de méthode précisées par Jean : « nous ne nous sommes permis d’apporter aucune modification de fond », mis à part l’ajout de notes et un annexe bibliographique, affirme-t-il par rapport au Récit de Sivadon. Evidemment, ce sont Federico, Anne et Patrice qui parlent mieux de la mise en forme finale de l’ouvrage de Jean, mais tout a été respecté. Néanmoins, ce que je sais c’est que lors de ma première (re)lecture du travail en cours, lorsque Jean travaillait encore avec Federico, j’ai signalé qu’à mon sens il qui manquaient quelque lignes sur le/les Cercles d’etudes psychiatriques Henri Ey.
Certes, Jean aimait plaisanter sur « notre » Cercle, répétant à qui voulait l’entendre qu’il était arrivé à ses oreilles son surnom : « Le Cercle des psychiatres disparus », en référence à un film de Peter Weir sorti en 1989, qui a eu du succès dans son temps, un film qui mettait en scène un Robin Williams en professeur de littérature anglaise aux pratiques pédagogiques plutôt originales, anticonformiste, mais aussi visant l’épanouissement de la personnalité par la vie en poésie, le « carpe diem » et le goût de la liberté. Comme vous pouvez le supposer, en bon film hollywoodien, il a une fin mélodramatique.
Donc, ce n’est pas étonnant que ce soit le Cercle lui-même qui ait disparu du livre. Dans la version finale qui est celle publiée, il n’y pas de paragraphe sur le Cercle d’études psychiatriques. Il est curieux que le seul cercle qui soit mentionné dans les Mémoires de Jean soit celui dirigé par Humberto Casarotti à Montevideo, ville où il s’est rendu dans les années ’90.
Nous serions donc devant donc un chapitre absent par manque de reminiscence ? Vous devez vous dire, il veut parler du Cercle, de son Cercle, car il ne le retrouve pas dans le livre ! Pas du tout, du tout. Tout d’abord, nous voulons parler parce que c’est Sivadon qui parle dans le Récit préfacé par Jean, même s’il faut avouer qu’il ne s’agit pas du même Cercle, car Sivadon parle du sien… Enfin, la vraie raison est celle du lieu où l’on se retrouve ce soir pour présenter ce livre. Car la Bibliothèque médicale a été la mère de tous les Cercles. C’est ici que longtemps eurent lieu leurs réunions, au moins du vivant d’Henri Ey. Et puis, parler du Cercle d’études psychiatriques c’est aussi l’occasion pour dire que « Henri Ey » est un signifiant central dans l’itinéraire de Jean. Nous y reviendrons.
Faisons un bref retour en arrière pour clarifier un tant soit peu cette histoire des Cercles. Profitons d’un souvenir du reconnu psychiatre français Georges Daumézon que nous commentons dans un article à paraître dans L’Information psychiatrique autour de la naissance de la revue, et qui dit : « La conférence, aussi bien les commentaires des examens [des patients] est prolongée par une discussion parfaitement ouverte et facilement passionnée ; la montée de l’amphithéâtre à la bibliothèque en groupes agluttinés, les plus nombreux bien entendu autour de Ey est un spectacle éloquant de la passion psychiatrique » [Daumézon G, Henri Ey et la génération d’avant-guerre, Perspectives psychiatriques, 1978, N°65, pp 7-9]. Daumézon parle des rencontres qui deviendront celles du Cercle d’études psychiatriques.
Le début de l’histoire se situe entre 1931 et 1933. Lorsqu’il est chef de clinique de Henri Claude, Henri Ey commence déjà à faire des présentations de malades et des conférences. C’est cet enseignement libre qui prend vaguement après-guerre le nom de Cercle d’études psychiatriques de Sainte-Anne. Le chercheur français Emannuel Delille, dans sa thèse de doctorat de 2008, Réseaux savants et enjeux classificatoires dans le traité de psychiatrie de l’Encyclopédie médico-chirurgicale (1947-1977) : l’exemple de la notion de psychose, verse quelques documents au dossier de l’hisoire du Cercle d’études psychiatriques de Henri Ey. Mais pour approfondir le sujet de l’enseignement de Ey devenu Cercle, il nous recommande de lire le Récit de Sivadon que préface Jean.
Sivadon lui-même rapelle que lorsqu’en 1948 l’éditorial Desclée de Brouwer abandonne la revue L’Evolution psychiatrique, c’est un petit groupe issu du syndicat des médecins des hôpitaux psychiatriques qui s’occuppe du passif « sous la forme d’un Centre d’éditions psychiatriques, SARL dont on me nomma directeur gérant. C’est ainsi que pendant des années j’eus la charge d’éditer la revue dont Henri Ey dirigeait la rédaction ». C’est cocasse car dans ce Centre on peut y voir un ancêtre du Cercle de recherche et d’édition Henri Ey, chez qui est édité l’ouvrage de Jean que nous présentons ce soir. Mais nous n’apprenons pas beaucoup plus dans le Récit de Sivadon concernant les histoires des Cercles.
Lorsqu’en 1952 intervient la publication du premier volume des Entretiens psychiatriques (L’Arché), dans la préface écrite à Bonneval en juin 1952, Henri Ey précise : « Depuis 20 ans mes conférences hebdomadaires au Centre psychiatrique Sainte Anne n’ont céssé d’absorber toujours plus de mon activité. J’avais primitivement constitué un petit groupe où il s’agissait seulement de préparer des candidats au concours de médecin des hôpitaux psychiatriques. Peu à peu notre groupe en même temps que notre programme et notre activité se sont élargis, et depuis 2 à 3 ans une centaine de jeunes psychiatres de divers pays et de formation professionnelle (déjà acquise ou en voie d’achèvement) très diverse me font l’honneur de solliciter un effort que je ne suis plus en mesure de continuer seul. La création cette année d’un Cercle d’Etudes qui, tout en gardant l’essentiel de mon enseignement clinique du mercredi après-midi, exige plus de participation active de tous, a tenté de répondre à la fois et au désir de ceux qui ont bien voulu insister pour que je n’abandonne pas cette « tradition » de travail en commun – et au besoin de me connecter davantage sur mon propre travail personnel ». Il y affirme aussi les liens étroits avec L’Evolution psychiatrique qu’il qualifie de son « avant garde ».
D’abord Sivadon, puis plus tard dans les années ’60 le psychiatre et psychanalyste André Green, exercent les fonctions de secrétaires du Cercle, toujours dirigé par Henri Ey. Son activité intense est organisé de la sorte : de 16h à 18h, Présentation de malades Amphithéâtre Magnan, et de 18 à 19h30, conférences de psychopathologie à la Bibliothèque médicale. Tout le gotha de la psychiatrie française est passé par là : Racamier, Garcia Badaracco, puis Lantéri-Laura, Serge Leclaire, Jacques Lacan, Paul Guiraud, etc, etc.
Avec le temps le programme s’étoffe considérablement et il annonce 4 types de conférences ou séminaires : d’abord le Cycle propédeutique, dont le terme ne cache pas ses racines catholiques, en quelque sorte l’année d’initiation, puis Cercle de psychothérapie institutionnelle, ensuite l’Enseignement de la psychiatrie, puis les Séminaires d’introduction à la clinique psychanalytique. Entre 1967 et jusqu’à 1972, le secrétaire est l’inoubliable Roger Zagdoun (dcd 2019), qui exerce ces fonctions en même temps qu’il est analysant de Lacan, et qui épate Henri Ey par ses travaux sur la paranoïa infantile. La retraite de Henri Ey et son départ à Banyuls dels Aspres ont mis fin à cette période prolifique tous azymuts. Dans la brève recherche que j’ai effectué pour ce soir, je n’ai pas trouvé de traces de la participation de Jean à cette période inaugurale du Cercle d’études psychiatriques, même s’il nous dit qu’il a suivi les conférences du mercredi à Saint-Anne.
Le fait est que vingt-ans après, comme le dit Robert-Michel Palem, toujours en 1993 « c’est la création (ou plutôt la résurrection, la renaissance) du prestigieux Cercle d’études psychiatriques Henri Ey, à Sainte Anne (qu’avait créé et animé H. Ey lui-même pendant des années), avec les docteurs Descombey, Garrabé, Lauzel, Zagdoun, Tremine ». [Henri Ey Psychiatre du XXIème siècle, L’Harmattan, 1998]. Dans une lettre au membres de ce deuxième Cercle en 2020, au moment de sa dissolution, Jean-Paul Descombey s’attribue l’initiative de cette résurrection et justifie le choix de Roger Zagdoun, ancien sercrétaire et factotum d’Henri Ey, le seul à avoir fait partie de la première étape. Les autres, ce sont des amis de confiance, dit-il : Garrabé, Lauzel, Trémine. Les buts du Cercle ressemblent à celui du film sur les poètes disparus : « organiser des formations et enseignements libres de la clinique et de la psychopathologie destinés à toute personne profesionnellement intéressée par la psychiatrie, et fixe son siège social au Centre Henri Rousselle, au Centre hospitalier Sainte-Anne ».
Depuis sa création, Jean est présent à tous les moments de la vie de ce Cercle, qui s’élargit petit à petit. Pour l’avoir intégré vers 1998 ou 1999, je peux vous assurer que le programme gastronomique a été au moins aussi prestigieux que le programme scientifique. Et aussi léger : lors des réunions à l’Auberge Etchegorry, Jean se présente coiffé d’un châpeau de feutre à larges bords très hyspanique, juste pour nous amuser. Et il y en a eu d’autres…
Mais pas uniquement, car pour ce qui est du savoir, le Cercle organise des rencontres très sérieuses, que ce soit avec Georges Lantéri-Laura qui présente à Sainte-Anne son Essai sur les paradigmes en 1999, avec Thierry Trémine qui présente son livre Délire et modèles à l’Elan Retrouvé en 2001, et même avec Roger Zagdoun avec qui nous discutons du sien sur le transfert paranoïaque entre Hitler et Freud à l’Elan Retrouvé en 2003. Le Cercle participe aussi à l’organisation de journées et colloques comme celui de Chailles en sur « La critique du délire » en 2001, puis en 2003 celui sur « Crise sociale et psychopathologie » en collaboration avec l’Association franco-argentine de psychiatrie et de santé mentale. Et puis, de manière ininterrompue se tient le séminaire du Cercle Henri Ey et du service de psychiatrie B à l’Hôpital Robert Ballanger à Aulnay-sous-bois, dirigé par Thierry Trémine jusqu’à sa retraite en 2013. Tous ces événements ont compté avec la participation très active de Jean dont témoignent des nombreuses publications. Nous lui rendons hommage et le remercions pour son action au sein du Cercle d’études psychiatriques, dit Henri Ey, de Paris.
De quoi Henri Ey est le nom ?
Car nous devons enfin dire un mot du signifiant « Henri Ey », qui passe de cercle en cercle, et de bibliothèque en association, et que nous avons dit central dans l’itinéraire de Jean. Revenons alors à la préface que Jean écrit pour le Récit de Paul Sivadon : « Sivadon se méfiait de ces grands systèmes théoriques qui prétendent expliquer l’ensemble de la pathologie mentale et qu’ont proposé nombre de ses prédécesseurs, de ses maîtres ou même de certains de ses contemporains ». Alors, comment ne pas penser dans les propos de Jean à celui avec qui Sivadon a collaboré pendant si longtemps ? Pour le nommer : Henri Ey. Sans doute, un nom important pour Sivadon car lui aussi lui consacre un chapitre chapitre dans son Récit. Et entre mille éloges, il l’évoque tout de même ainsi : « Henri Ey, catalan susceptible et facilement emporté, […] mal supporté par les Anglais dont il ignorait la langue »… Souvenons-nous de Tosquelles qui disait : « On allait chez Ey, et Ey disait : je suis l’unique psychiatre dont tous les élèves sont contestataires de moi-même ! » [Recherches, Histoire de la psychiatrie de secteur ou le secteur impossible ? N°17, Réalisé par Lion Murad et François Fouquet, mars 1975].
Je pense qu’ils exagèrent. Reprenons alors la préface que le célèbre professeur et épistémologue de Cambridge, bien que péruvien jusqu’à la moelle, le psychiatre Germán Berrios, grand ami de Jean, écrit pour lui : « Jean laisse derrière lui une solide érudition historique. C’était un historien né. Il se souciait peu de théorie, car sa passion était de se perdre dans les méandres du texte ». Soit, érudition historique. Mais alors, quid du lien de Jean au signifiant « Henri Ey » ? Ou alors, comme aurait pu le dire un autre psychiatre historien avec qui nous avons eu l’occasion de discuter, Paul Bercherie : « de quoi Henri Ey est le nom » ? Nous avons dit qu’ils exagèrent tous, car dans l’index des noms de ses Mémoires et reminiscences, c’est « Henri Ey » qui a le plus d’entrées, devant « Clérambault » et « Don Quichotte ». La messe est dite.
Jean écrit en 1997 un ouvrage sur « Henri Ey et la pensée psychiatrique contemporaine » où dès la préface il se situe : les mouvements des idées ne sauraient être tenus pour définitives ne varietur. « La leçon que nous devons en tirer est celle de la manière dont nous pouvons nous en inspirer pour, par une réflexion personelle analogue, élaborer nos propres réponses. C’est en cela que nous pouvons considérer Henri Ey comme un véritable maître à penser et non pas parce qu’il nous a transmis une sorte de pensée unique ». Laissons de côté provisioirement cette idée qui fait que chacun devrait s’inventer une psychiatrie de novo à chaque fois, car ce n’est évidemment pas le cas d’Henri Ey, qui a si peu inventé mais beaucoup élaboré. Disons simplement que c’est un terrain où les distances entre la pure histoire et la théorie s’effacent, voire disparaissent, sous la vérité de la pratique dans un contexte donné.
Nous pensons qu’il y a chez Jean une fidelité et une affinité plus affirmée qu’il ne l’écrit à l’abordage de questions cruciales dans la pensée d’ Henri Ey, et qui soit dit en passant ne lui appartiennent pas non plus en propre à lui tout seul. Prenons comme un petit indice de cette affinité la question des « psychoses aiguës », qu’il choisit comme un des chapitres de son ouvrage sur Ey. Il sait l’importance cruciale que comporte la question chez le catalan. Il l’a réaffirmé en 2010 face aux vénézuéliens, en langue espagnole, disant que pour Ey : « une classification naturelle de la psychose […] doit se limiter seulement à distinguer les pyschoses aigües des psychoses chroniques. A première vue il suit la tradition de l’aliénisme français en distinguant deux classes de délires, les aigus dont le prototype est la bouffée délirante de Magnan et Legran, et les délires chroniques à évolution progressive » [Garrabé Jean, Henri Ey y el grupo de las psicosis agudas, Disertacions sobre Psiquiatria, Triacastela, Madrid, 2011].
C’est une idée qu’il fait sienne. Alors donc, apprécions l’anecdote : c’est avec l’un de ses compagnons du Cercle Henri Ey de Paris, le psychiatre François-Régis Cousin, qu’il se lance en 2009 dans l’écriture du chapitre sur les psychoses aiguës dans le New Oxford Psychiatric Textbook, dirigé entre autres par Nancy Andreassen et Lopez Ibor. Dans la langue de Shakespeare, cela donne : Acute and transient psychotic disorders [GELDER Michael, GEDDES John, ANDREASSEN Nancy, LOPEZ-IBOR Juan J., New Ofxord Textbook of Psychiatry, Oxford Univeristy Press, 2009]. Mais à Caracas, un an après, le constat de Jean est amer, et il avoue dans son autre langue : la dicotomie aigu/chronique « ne se réduit pas à la durée chronologique, comme il arrive dans les classifications actuelles pour lesquelles il n’y a pas de différence structurale entre les Acute and transient psychotic disorders et la schizophrénie. J’ai essayé d’expliquer cette différence dans le chapitre que les éditeurs du New Oxford Psychiatric Textbook m’ont chargé de rédiger, mais je crois que les lecteurs de langue anglaise (qui ne se prête pas à parler de phénoménologie) n’ont pas compris ce que j’ai exposé ». On aurait dit un catalan susceptible mal supporté par les Anglais à cause de la langue… Ne serait-il finalement attrapé par la rumeur qu’il a entendu mort de rire dans les couloirs bondés de monde à Mar del Plata en 2006 et qu’il répète au public : « Il paraît que c’est le fils d’Henri Ey qui va parler ».
Création, en 1993 du Cercle d’études psychiatriques Henri Ey, avec pour objet « organiser des formations et enseignements libres de la clinique et de la psychopathologie destinés à toute personne profesionnellement intéressée par la psychiatrie, et fixe son siège socil au Centre Henri Rousselle, au Centre hospitalier Sainte-Anne.
Membres fondateurs : DR JEAN-PAUL DESCOMBEY DR JEAN GARRABÉ DR JEAN-PEIRRE LAUZEL DR THIERRY TRÉMINE DR ROGER ZAGDOUN
