Un projet d’amendement scandaleux contre la psychanalyse

Le projet d’un amendement au Projet de Loi du Financement de la Sécurité Sociale, dit Amendement 159, prétendant à « garantir la cohérence scientifique et l’efficience des dépenses de l’assurance maladie » doit être débattu cette semaine au Sénat. Ce projet d’amendement, constitue une nouvelle attaque contre la psychanalyse, brutal dans sa forme, dangereux dans son fond, et qui bafoue à la fois les professionnels et les patients, en mettant en péril l’organisation même du soin psychique en France.

1° L’un des aspects les plus problématiques de cet amendement est qu’en proposant de dérembourser l’ensemble des pratiques orientées par la psychanalyse, il révèle une ignorance flagrante de l’organisation réelle du soin psychique en France. Contrairement à ce que semblent penser les rédacteurs de l’amendement, la psychanalyse n’est pas une pratique marginale réservée à quelques cabinets privés. Elle constitue la référence historique et renouvelée d’une large part du secteur public de la santé mentale. C’est une partie très significative des soins en Centre Médico-psychologiques, en Centre Médico-psychopédagogiques, en Hôpital de jour, en soins études, qui relèvent d’une organisation pensée notamment par la psychanalyse. L’amendement n’affecte donc pas seulement des pratiques spécifiques : il menace l’organisation générale du secteur psychiatrique public, déjà fragilisé par des années de sous-investissement et de pénurie de personnel. Autrement dit, ce sont des pans entiers du services publics qui seront fragilisés et non un « segment » thérapeutique particulier.

Les populations prises en charge dans ces structures ne sont pas des « consommateurs » qui viennent aggraver le déficit des comptes publiques : ce sont des enfants en grande difficulté scolaire, des adolescents en crise suicidaire, des adultes en burn-out, bref, des personnes en souffrance pour qui la continuité de la prise en charge est absolument vitale.

Dérembourser les approches issues de la psychanalyse seraient provoquer une interruption violente de ces soins, en renvoyant brutalement les usagers vers un financement exclusivement individuel. Cela provoquerait une demande de soins massive vers des services publiques déjà débordés, des risques de rechutes ou de passage à l’acte et très probablement une explosion du nombre d’hospitalisations sous-contrainte. L’amendement se réclame d’une rationalité économique, mais il est clair que l’interruption des soins psychodynamiques en secteur public provoquerait des catastrophes et qu’il coûterait beaucoup plus cher.

2° Cet amendement qui se réclame de l’HAS ne repose sur aucune rigueur scientifique. C’est un acte idéologique et scientifiquement mensonger. Depuis vingt ans, les opposants à la psychanalyse recyclent un rapport de l’INSERM de 2004 dont tous les biais ont été démontés. Les études contemporaines se soumettant aux critères scientifiques les plus rigoureux (essais randomisés, méta-analyses), montrent l’efficacité de la psychanalyse, à court et long terme, pour la quasi-totalité des troubles et qu’elle est équivalente aux autres formes de psychothérapie, notamment des TCC. C’est le fameux « verdict du Dodo ». Alors que de nombreux pays reconnaissent la psychanalyse comme une offre de soin valide parmi d’autres, comment des sénateurs peuvent-ils ignorer l’importance de ces études internationales ? (Visentini. G. L’Efficacité de la psychanalyse. Un siècle de controverse. PUF. 2021.)

3° Depuis sa fondation, L’Évolution Psychiatrique n’a cessé de rappeler qu’aucune approche, aucune grille théorique, ne peut prétendre épuiser la complexité de l’expérience psychique, ni se substituer à la singularité des parcours, des symptômes, des conflits et des histoires qui structurent chaque sujet. Vouloir exclure la psychanalyse revient à instaurer une norme unique du soin, c’est-à-dire une conception autoritaire de la santé mentale, où l’État dicterait ce qu’il est légitime de penser, de comprendre et de traiter.

Un tel amendement désigne implicitement les cliniciens d’orientation psychodynamique comme des « mauvais gestionnaires » ou des gaspilleurs de fonds publics. Une telle stigmatisation est indigne, d’autant que ces cliniciens portent l’essentiel des situations les plus complexes et les plus chroniques, celles que les approches protocolaires standardisées peinent à prendre en charge durablement.

Le risque d’une telle réformer serait d’imposer une conception étroitement gestionnaire et normative de la santé mentale, contraire à l’éthique du soin, à la déontologie des métiers psychiques et à l’histoire même de la psychiatrie française.

Le bureau de l’Evolution psychiatrique